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SIÈCLE DE NARA

Si l’on met de côté un ouvrage analogue compilé dès l’an 620, mais dont l’authenticité est discutée[1], le Kojiki, paru en 712, s’offre à nous comme le plus vieux monument de la littérature japonaise ; il en est aussi le plus important. Il contient l’exposé des traditions nationales, depuis la naissance du monde jusqu’à l’année 628 de notre ère, en passant par toute la série de nuances qu’on peut concevoir entre la mythologie pure et l’histoire réelle. La Préface nous apprend comment il fut composé. Sur l’ordre impérial, un certain Hiyéda no Are, homme d’une merveilleuse mémoire, avait appris par cœur les « paroles des anciens âges » ; le lettré Fouto no Yaçoumaro écrivit sous sa dictée, en caractères chinois qu’il employait tantôt dans leur sens idéographique normal, tantôt avec une valeur purement phonétique : car la première méthode ne pouvant exprimer les noms propres, les poésies indigènes, toutes les expressions qui n’avaient pas d’équivalent en chinois, tandis que la seconde eût exigé, pour chaque mot polysyllabique japonais, autant de mots chinois que de syllabes à rendre, il se résolut à combiner l’une et l’autre dans une écriture de fantaisie qui n’était, en somme, ni du japonais, ni du chinois[2]. C’est dire que le Kojiki, naïf quant au fond, est dénué de toute forme artistique ; et c’est expliquer, du même coup, pourquoi le Nihonnghi, « Chroniques du Japon » parues dés l’an 720, mais écrites en chinois et ornées d’idées chinoises, éclipsèrent tout de suite le vieil écrit national. Mais, pour ces mêmes raisons, le lecteur européen qui veut comprendre l’âme japonaise doit préférer le vrai récit indigène[3], c’est-à-dire la source même des conceptions qui, parties de là, vont s’étendre à travers toute la littérature du pays.

    un ouvrage d’histoire proprement dite, mais un récit sans art des vieilles traditions.

  1. Le Kyoujiki, ou « Livre des choses du passé ».
  2. D’où l’obscurité fréquente d’un ouvrage sur lequel Motoori, le grand philologue japonais du xviiie siècle, a pu écrire un commentaire en 44 volumes (V. ci-dessous, p. 344). — Le Kojiki a été traduit en anglais par B. H. Chamberlain, Tôkyô, 1882, avec une exactitude parfaite (sauf pour certains points, comme les noms des dieux, où ses interprétations peuvent être discutées).
  3. Le Nihonnghi, qui supprime, abrège, interprète à sa manière ou habille à la chinoise les récits jugés trop enfantins, offre en revanche cet avantage de donner, pour les principales traditions, des variantes empruntées aux nombreux manuscrits que ses rédacteurs, le prince Tonéri et Yaçoumaro lui-même, avaient à leur disposition. Le récit est sans cesse coupé d’une petite phrase, (« Kyou hon ihakou, Un vieil écrit dit, Arou hon ihakou, Un certain écrit dit »), qui annonce toujours quelque extrait précieux par les comparaisons qu’il permet. En somme, le Kojiki est la base ; le Nihonnghi, le complément. — Le Nihonnghi a été traduit en anglais par W. G. Aston, Londres, 1896, et en allemand par K. Florent, Tôkyô, 1901-1903.