Page:Revon - Le shinntoïsme, 1907.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une civilisation[1], parce qu’elle n’est en somme que le reflet brillant et agrandi de cette civilisation elle-même, son image démesurément projetée, du sein des réalités terrestres, sur les nuages et les mystères du ciel.

La religion des Japonais primitifs[2] offre, à cet égard, un intérêt tout particulier ; car, outre qu’elle nous aide à mieux comprendre la civilisation dont elle fut l’effet, elle nous prépare aussi à mieux saisir les évolutions dont elle fut la cause. Pendant deux mille ans et jusqu’à nos jours, elle est restée au fond de l’âme japonaise, et on ne saurait bien interpréter les actes contemporains sans recourir aux anciennes croyances qui les dictèrent. Les sentiments et les idées du plus vieux Japon sont encore à la base du Japon moderne ; et depuis les plus hautes institutions de l’État jusqu’aux moindres faits de la vie privée, depuis le système politique qui soutient l’empire jusqu’aux plus menues pratiques de l’existence quotidienne, chez le Japonais lettré qui adore la photographie de son empereur comme chez celui qui multiplie ses ablutions rituelles ou qui court chez le devin avant d’agir, c’est toujours l’âme des lointains ancêtres qui s’agite dans les têtes et qui s’exprime par les gestes des vivants. L’antique religion des Japonais est donc la partie la plus importante de leur civilisation, parce qu’elle en est demeurée le fonds le plus durable, et parce que sa survivance, à travers tant de siècles, tant de révolutions et tant d’influences étrangères, représente l’idée directrice de tout le progrès national[3].

  1. La présente étude doit constituer la dernière partie d’un ouvrage intitulé Le Japon primitif, qui sera lui-même le premier volume d’une Histoire de la civilisation japonaise.
  2. Par « Japonais primitifs », nous n’entendons pas, évidemment, les Japonais tels qu’ils pouvaient être dans un état primordial inconnu de nous, mais bien tels qu’ils étaient au moment où ils nous apparaissent dans l’histoire, et avant l’introduction des idées bouddhistes et chinoises qui devaient transformer leur première civilisation.
  3. Rappelons brièvement quelles sont nos sources pour l’étude de cette religion primitive. — La première chose à remarquer, c’est que les Japonais primitifs n’avaient inventé aucun système d’écriture ; qu’ils se contentèrent d’adopter les caractères chinois, transmis par la Corée ; et que, si cette connaissance