Page:Revon - Le shinntoïsme, 1907.djvu/18

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primitive, où les croyances se forment spontanément, sans nulle action extérieure[1], sans concurrence, si bien qu’à ce moment la religion nationale n’a pas de nom : c’est seulement après l’introduction du bouddhisme, au VIe siècle, qu’on jugera nécessaire de lui trouver un nom chinois, le Shinn-tô, c’est-à-dire la Voie des Dieux, pour la distinguer du Boutsou-dô, la Voie du Bouddha[2]. Vient ensuite cette seconde période


    comme l’un des dix membres de leur Conseil, et parmi eux, tout particulièrement, les deux grands maîtres de la philologie japonaise, Sir Ernest Satow et M. Chamberlain. J’aurai plus d’une fois à critiquer leurs théories, au point de vue de l’histoire religieuse proprement dite ; mais je tiens à dire ici que personne n’eût pu le faire sans l’énorme travail philologique qu’ils ont accompli, par quarante années d’efforts, et qui restera la base de toute étude sur le shinntoïsme.

  1. C’est ce qui ressort avec évidence, non seulement des différences qu’on peut observer entre les idées japonaises primitives et les conceptions chinoises, mais même de simples détails matériels conservés dans la forme des documents. Prenons par exemple le R. VIII : le rédacteur ne sait comment traduire en caractères chinois de très vieux mots japonais qui expriment des notions purement indigènes ; il choisit alors des équivalents aussi rapprochés que possible ; mais en outre, pour éviter toute confusion, il se voit obligé d’ajouter des notes où il rendra ces mots archaïques avec des caractères chinois employés phonétiquement (Voy. T., IX, part. II, p. 190 seq. ; p. 195, n. 1, exemple typique de cette difficulté, dès les premières lignes du rituel, où il s’agit d’exprimer des conceptions relatives à l’ancienne magie japonaise.)
  2. Le mot Shinntô apparaît pour la première fois dans le Nihonnghi (II, 106), à propos de l’avènement de l’empereur Yômi (585.) « L’empereur, nous dit-on, croyait en la loi du Bouddha et vénérait la Voie des Dieux. » Cette tendance éclectique se trouve d’ailleurs confirmée par les faits de son règne : il commence par s’intéresser activement au culte du Soleil, et il meurt heureux en songeant qu’on va élever en son nom une statue du Bouddha haute de seize pieds (Ibid., p. 106 et p. 111). Quoi qu’il en soit, la phrase du Nihonnghi montre bien l’opposition des deux termes. Remarquons que le mot Shinntô n’eut pas besoin d’être forgé : il existait déjà, tout fait, en chinois. « Le sage, dit le Yih-king, établit sa doctrine suivant la Voie des Dieux, et l’empire l’accepte. » (Or le Yih-king, à cause de son caractère divinatoire, fut un des premiers livres chinois étudiés au Japon.) Quant à l’expression Kami-no-mitchi, elle n’est que la traduction japonaise du mot chinois lui-même ; à l’origine, mitchi signifiait un chemin, dans le sens matériel, et non pas un système moral ou religieux. (Par ex., N., I, 117, l’empereur Djimmou s’adressant à un de ses fidèles : « Tu es un guide heureux ; c’est pourquoi je te donnerai un nouveau nom et t’appellerai Mitchi no Omi », c’est-à-dire ministre des Routes.) C’est d’ailleurs ce que reconnaissent très volontiers les théologiens da Shinntô. (Voy. Motoori, dans