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prmitifs italiens. Entre les plus fameux, Fra Angelico, Cimabue et Giotto ne s’adonnèrent pas égalemetn à la peinture sur vélin et à la peinture sur panneau ? En somme, selon une heureuse expression de Louis Viardot, les maîtres primitifs sont des miniaturistes agrandis.

Les volumes de Gillemans n’ont pas été étudiés au point de vue esthétique. D’ailleurs, on n’a retrouvé que récemment leurs traces, alors qu’ils étaient considérés comme irrémédiablement perdus. Ils disparaissent du monastère de Rouge-Cloître dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les deux derniers auteurs qui en parlent sont le baron Jacques Le Roy et Georges Friex. Le premier, dans son Théâtre sacré du Brabant (p. 328), écrit en 1734 ces lignes à propos du monastère d’Auderghem : « Jean Gillemans, sous-prieur, s’est distingué dans ce couvent ; c’était un homme de vie régulière et de grande lecture. Il a fait une collection de la vie des saints, écrite de sa propre main, ce qui compose le Hagiologium Brabantinorum ou de Sanctis Banbantiae, tom. III, Novale Sanctorum, tom. IV, que l’on garde manuscrite dans ce couvent. » Quant à l’auteur de la Description de la ville de Bruxelles, parue en 1745, il s’exprime de la manière suivante, en parlant de Rouge-Cloître : « On y voit une belle et grande bibliothèque, remplie de bons livres et de quantités de manuscrits, parmi lesquels il y a cinq gros volumes en parchemin, écrits de la main du R. P. Jean Gillemans, autrefois supérieur de cette maison. »

À la fin de la domination autrichienne, si néfaste pour nos arts, les précieux volumes ont été enlevés. Que sont-ils devenus ? On ne l’apprendra qu’un siècle après. Ils se trouvent aujourd’hui dans la bibliothèque privée de l’empereur d’Autriche à Vienne. « C’est le secrétaire du cabinet intime de Sa Majesté l’Empereur et Roi » qui reçut le 8 août 1803, à Vienne, ces ouvrages précieux des mains du chevalier Beydaels de Zittaert, « conseiller premier Roi d’armes dit Toison d’or ». Le document reproduit dans le tome XIV des Analecta Bollandiana, paru en 1895, tome presque complètement consacré à l’étude approfondie du texte de l’œuvre de l’écrivain religieux, indique neuf volumes de « Jean Giellemans, mort en 1487, dont cinq en grand fol… sur vélin avec miniatures, contenant les ouvrages complets composés et écrits par le célèbre historiographe ». Ces ouvrages avaient été transportés à Vienne en 1794. Longtemps on les avait cru perdus. Le chevalier Beydaels les avait offerts à son souverain, pour lui « donner un hommage de son respectueux et inviolable attachement à sa personne sacrée ».

Il serait hautement désirable que ces cinq splendides volumes fussent analysés, étudiés, décrits minutieusement. En raison même de l’excessive rareté des œuvres de celui qui, selon nous, doit les avoir enrichis de miniatures, cet examen esthétique est d’un intérêt capital pour l’histoire de notre école primitive, s’il est démontré que les enluminures qui les enrichissent sont bien de la main du moine de Rouge-Cloître, il sera aisé d’établir clairement et définitivement les caractères essentiels de son art. Ce résultat acquis, il deviendra simple de mettre fin à ce jeu d’attributions auquel on se plaît concernant Van der Goes. On lui rendrait une bonne fois ce qui lui est dû, et il est à présumer qu’il lui revient certaines œuvres dans les galeries d’Europe… Comme pour le bréviaire Grimani, si fameux et qui, sans doute, n’a pas l’importance des manuscrits du sous-prieur Gillemans, il siérait de faire photographier les plus belles miniatures des volumes conservés à Vienne. Fautes des originaux, qui nous ont été enlevés autrefois par droit de conquête, nous aurions du moins des reproductions fidèles de ces trésors nationaux. Pourquoi l’honorable baron van der Bruggen, si attentif à tout ce qui concerne notre art patrial dans le passé et dans le présent, ne chargerait-il pas un de nos critiques avisés d’aller examiner en Autriche les cinq précieux in-folio et d’en faire une description détaillée ? Cela coûterait quelques centaines de francs. Le monde intellectuel ne manquerait pas d’approuver l’heureuse détermination du ministre des Beau-Arts avec une unanimité enthousiaste.


L’ART BELGE

Constantin Meunier, sculpteur et peintre, par Camille Lemonnier. Soixante-douze illustrations dans le texte ; trente-deux eaux-fortes, héliogravures hors texte. Paris, II Floury. — Nos Peintres (première et deuxième séries), par Gustave Van Zype. Seize phototypies. Bruxelles. P. Lacomblez. — La Peinture belge, par Richard Muther. Traduit de l’allemand par Jean De Mot. Trente-deux planches hors texte. Bruxelles, Misch et Thron.

Il appartenait à Camille Meunier, qui fut l’ami de Meunier aux jours sombres comme à l’heure du triomphe, de résumer, en un monument définitif, la Vie et l’Œuvre de celui dont l’art enferme une si haute leçon d’humanité. Et nul mieux que l’écrivain qui signa vingt volumes de pitié et de fraternel amour n’était qualifié pour parler du statuaire dont les rythmes plastiques ont magnifié le douloureux labeur des humbles.

Son livre est admirable. Dans les formes créées par Meunier, Camille Lemonnier discerne avec clairvoyance les activités immuables de la vie. Il précise leur signification foncière. Il exalte la beauté synthétique de cet art vraiment classique, qui célèbre en un miraculeux poème de marbre et de bronze la lutte de l’homme contre les forces éternelles de la nature Chez Constantin Meunier, dit-il, l’habituel personnage s’amplifie d’un sens universel, impliquant les lointaines résistances aux forces, aux météores, aux mornes et passives lois de la prédestination. Même à l’état de suspens, dans le rythme d’tendu des torses, la lutte est l’âme et le souffle vivant de son œuvre. Ces modernes cyclopes figurent