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REVUE MODERNE

Je ne resterai pas avec vous : mais mes paroles resteront avec vous. Soyez maudits, hommes querelleurs.

Les vents emportent la semence du chêne et la sèment sur la terre ; mais maudits seront les vents qui emporteront vers la patrie vos discours et vos conseils. Vous mourrez.

Le grand jour approche et nul ne survivra au soir de ce jour. Voici venir le jour de la Sibérie et le soleil de la destruction.

Parce que vous n’avez pas écouté mes conseils et que vous n’avez pas vécu dans la concorde et l’amour fraternel, ainsi qu’il convient à des gens qui n’ont point de patrie.

Vous avez offensé les peuples de ce pays, et voici qu’ils vous guettent avec leur lance : leurs chiens même vous guettent pour déchirer quelqu’un d’entre vous.

En est-il un qui ait rencontré un Ostyak et qui l’ait traité avec douceur et humanité ? En vérité, aucun de vous n’a passé près d’un chien sans lui donner un coup de pied comme à un serpent.

Mais le soleil se lèvera et il apportera un jour plus terrible que l’obscurité et un calme plus terrible que les tempêtes de la mer : car vous aurez peur de vous-mêmes.

Et cette neige deviendra une mer, et ses vagues seront vertes et votre maison sera comme un vaisseau qui sombre.

Aiguisez vos haches : car elles vous seront utiles ; et celui de vous qui saura frapper, celui-là sera un homme utile.

La Pâque approche et vous tracerez une croix rouge sur vos portes. Mais de quel sang ? En vérité ce ne sera pas avec celui de l’agneau.

Quand le chaman eut dit cela, quelques-uns eurent peur, mais un de ceux qui étaient ivres saisit une cruche de terre, la lança sur le prophète et ses cheveux se rougirent de sang.

Anhelli prit une hache et voulut le venger ; mais le chaman le retient disant : Sois patient.

Celui qui dans un an reviendra ici pleurera sur ces hommes ; pourquoi tirer vengeance de ceux qui seront demain un objet de pitié.

Seigneur, ne les punis pas.

Il parla ainsi et un des hommes de la foule cria : Sorcier ! tu nous a ensorcelés. Cette cruche était pleine et elle est sèche !

Et les autres regardèrent dans la cruche et confirmèrent ces paroles, disant : Désensorcelle-nous, ou sinon nous te punirons de mort.

Et il se fit un grand tumulte, et on entendit d’épouvantables malédictions : l’un d’entre eux prit un couteau et l’enfonça dans la poitrine du chaman, disant : Tu nous a ensorcelés.