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Page:Revue Musicale de Lyon 1903-11-10.pdf/5

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revue musicale de lyon

âme, elle avait voulu fuir pour ne plus entendre ce chant à l’apparence si gaie. Ce motif se joue et se développe maintenant seul pour mourir dans la résignation ; mais en même temps les cors font entendre comme de loin le chant solennel avec lequel Hans Sachs a salué Luther et sa réformation et qui valut au poëte une popularité incomparable. Après la première strophe, les instruments à corde reprennent très doucement et dans son mouvement très retardé (retenu) des traits du vrai chant du cordonnier (c’est-à-dire de la chanson de Sachs au deuxième acte), comme si l’homme levait son regard de son travail manuel pour regarder en haut et se perdre dans des rêveries tendres et suaves. Alors les cors continuent aux voix (parties) plus élevées l’hymne du maître par lequel Sachs, à son entrée à la fête, est salué par tout le peuple de Nuremberg dans un éclat tonnant des voix unanimes. Maintenant le premier motif des instruments à cordes rentre encore avec la forte expression de l’ébranlement d’une âme émue profondément ; il se calme, s’apaise et arrive à la sérénité d’une douce et bienfaisante résignation. »


Chronique Lyonnaise

GRAND-THÉÂTRE


Lohengrin

Y a-t-il encore des wagnériens ? Telle est la question, à première vue plutôt absurde, que je me posais l’autre soir en contemplant, avant le lever du rideau, la foule dense qui s’entassait, depuis les strapontins d’orchestre jusqu’au sol rugueux des quatrièmes. Qui, dans cette foule, pouvait se dire wagnérien ?

Le wagnérisme, en tant que culte exclusif, est une chose née de l’antipathie que la Musique de l’Avenir inspirait en France, et dont l’origine se rattache à l’essentiel théorème

de mécanique sociale et psychique, qui veut que la réaction soit égale à l’action. Depuis que les œuvres du maître allemand se jouent partout, maintenant que le Bayreuthisme se diffuse, l’esprit sectaire a évolué en deux formes disparates : l’admiration calme et non combatives des uns, l’intransigeance bruyante des autres. Mais cet amour du dieu n’a pour temple que certains salons fermés, et pour culte que l’audition de certaines pages, triées parmi les plus absconses (je ne dis pas les plus obscures) des œuvres de la dernière manière. Lohengrin n’en est plus là : il est tombé dans le domaine public ! le zèle étroit des pontifes en a fait comme une ébauche maladroite du définitif Parsifal, un péché de jeunesse presque, et, pour ainsi parler, une pochade peu avouable du maître, bonne à mettre au même rancart que Rienzi, déshonoré par sa coupe en duos et trios, et Tannhauser stigmatisé par son ballet et par ses italianismes.

Aussi l’émotion ressentie par le public, qui se pressait cette semaine aux représentations de Lohengrin, n’avait-il rien de feint, et nous avons pas eu la malicieuse joie d’entendre au foyer et dans le couloir des loges, ces appréciations savoureuses dont le convenu constitue un des plus précieux rites de la musicographie mondaine. Les purs s’étaient abstenus. Qu’il est loin le temps où louer Lohengrin était une preuve de courage et l’indice d’un esprit révolutionnaire, et qui se souvient des batailles d’antan, où les croyants de la première heure combattirent le bon combat. Qui se souvient de l’incident Neumann ?

En 1831, M. Angelo Neumann, directeur du théâtre de Prague, loua le théâtre des Nations avec l’intention d’y monter Lohengrin en allemand. Cette nouvelle produisit un scandale effroyable, et Raoul Pugno engagé d’abord comme répétiteur du chant, ne tarda pas à démissionner. La presse parisienne fut d’une extrême violence : « Nous nous sommes indignés, écrivait Commettant dans le Siècle, à la pensée que ce monsieur (!) aurait son théâtre à Paris pendant que nos compositeurs sont réduits à l’inaction, pour la plupart, faute d’une scène qui puisse accueillir leurs ouvrages. » Dans la Renaissance Musicale, Ed. Hippeau évoquait le péril d’une intervention de Bismarck :