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Page:Revue Musicale de Lyon 1903-11-10.pdf/6

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revue musicale de lyon

« Et si M. Neumann n’était qu’un agent provocateur ? si tout le bruit mené autour de Lohengrin n’était destiné qu’à surexciter les esprits ou à les pousser à des violences !… cela pourrait créer des dangers très sérieux ; je n’en dis pas davantage. » L’incident fut clos par une lettre de Wagner à Dujardin où on lisait entre autres choses : « Non seulement je ne désire pas que Lohengrin soit représenté à Paris, mais je souhaite vivement qu’il ne le soit pas, et pour les raisons suivantes : d’abord Lohengrin ayant fait son chemin à travers le monde, n’en a pas besoin. Ensuite, il est impossible de le traduire et de le faire chanter en français, de manière à donner une idée de ce qu’il est. Et, en ce qui concerne une représentation en allemand, je conçois que les Parisiens n’en aient pas envie. »

Et voilà maintenant Lohengrin au répertoire, tellement au répertoire, que le bon peuple voit en lui un frère de Sigurd ou des Huguenots, et l’applaudit parce qu’il y retrouve quantité de mélodies à la mode ancienne, qui sont simplement exquises et pour lesquelles il n’est pas besoin d’aucune éducation de l’oreille. Et, de fait, je ne connais pas dans le répertoire italien de motif plus italien (et plus mélodieusement agréable) que le quintette qui termine le premier acte de Lohengrin. Cette grande phrase alternativement en si bémol majeur et en avec ses harmonies simples, ses cadences banales, sa large mélodie chantante, forme le plus étonnant contraste avec le duo qui commence l’acte suivant.

Ce duo de Telramund et d’ortruds est véritablement le présage de la Tétralogie : tout y annonce les futurs chefs-d’œuvres et la manière définitive : la prédominance des basses, l’harmonisation complexe, l’instrumentation recherchée. Je ne sais si l’on a signalé déjà l’étrange ressemblance de la phrase d’orchestre qui souligne les mots : ô femme à l’œil voyant (partition p. 120) avec les motifs orchestraux de l’évocation d’Erda au troisième acte de Siegfried (partition p. 244). La structure harmonique est la même ; des deux côtés une série d’accords descendants par demi-tons chromatiques, et constitués par des tierces et des quintes ou par leurs renversements : des deux côtés une

instrumentation sinon semblable, du moins homologue quant à l’effet produit. Dans l’unisson qui termine ce duo, il convient de relever encore ce superbe dédain des règles banales et surannées avec ces sauts de neuvième augmentée (p. 129, 13) qui eussent fait frémir le rigide Donizetti, et nous prophétisent les futures libertés de style de Tristan et de la Gœtterdammerung.

Lohengrin a reçu cette année l’interprétation qu’il convenait. C’est aujourd’hui la première fois que j’ai à parler ici de Mlle Janssen. Je ne saurais trop dire quelle profonde émotion artistique produit cette admirable interprète de la pensée wagnérienne. Dans Lohengrin, comme dans le Vaisseau Fantôme, dans Tannhauser comme dans Tristan et Yseult, Mlle Janssen incarne adorablement les héroïnes du maître bayreuthien. Sa façon de comprendre et de représenter vocalement et plastiquement le rôle d’Elsa est au-dessus de tout éloge. Les thèmes du songe, la scène du balcon, le duo du 3e acte ont été pour elle l’occasion de montrer une perfection dont rien n’approche. Nous ne pouvons que souhaiter qu’on donne souvent occasion à Mlle Janssen de se faire applaudir au Grand-Théâtre.

Les autres rôles étaient tenus d’une façon satisfaisante. Mme Deschamp-Jehin bien qu’elle n’ait presque plus de médium et que ses notes hautes n’aient plus la splendeur d’autrefois est une artiste de grand talent : sa tenue générale du rôle est très louable, et vocalement elle a fait preuve encore d’une belle vaillance dans l’invocation en fa dièze mineur du 2e acte : « Ô dieux de haine ! » M. Verdier a trouvé le plus légitime succès qu’il ait remporté depuis le début de la saison théâtrale. M. Rouard a gâté par des intonations défectueuses et un nasillement pénible l’effet produit par sa superbe voix. Quant à M. Roosen il a chanté d’une manière parfaite le rôle généralement sacrifié du héraut. Et c’est un des côtés les plus satisfaisants de cette reprise de Lohengrin que de n’avoir pas terni l’impression générale par les habituels couacs des seconds rôles. N’oublions pas la basse noble de M. Sylvain. Les chœurs, sans être parfaits, étaient suffisants. Terminons par l’orchestre, excellemment conduit, comme

toujours, par M. Flon ; notons en passant la