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revue musicale de lyon

du quatuor avec sourdines, le cor anglais, puis un violoncelle dessinent des phrases plus douces. Voici maintenant une terrasse de château. Dans la nuit traversée de quelques rayons de lune, les veilleurs se répondent ; Lancelot a rejoint Genièvre. Des frémissements du quatuor divisé, de longs traits de harpe, une caressante mélodie des bois, accompagnent l’entrée des amants.

Le duo qui suit, tout plein d’un intense sentiment poétique, est une des plus belles pages de l’œuvre. L’instinct mélodique de Chausson a pu s’y donner pleinement carrière ; le musicien a enveloppé de phrases séduisantes et exquises l’extase de Genièvre et de Lancelot, cet amour qui, pour le moment, n’offre aucun caractère tragique et dont rien ne vient troubler l’élan, où n’éclate que la joie d’être réunis.

Mais Mordred vient surprendre les deux amants. Lancelot le frappe et s’enfuit, tandis que Genièvre rentre au château. Mordred, qui semblait mort, reprend peu à peu connaissance, appelle, et l’on vient à son secours.

Au deuxième acte, dans une clairière non loin du château, Lancelot, qui attend anxieusement, est enfin rejoint par Genièvre. Mordred a parlé, et nombre des chevaliers d’Arthus se sont unis pour demander le châtiment du coupable Lancelot. Le roi persiste à croire en l’innocence de son meilleur féal ; aussi Lancelot doit-il hardiment retourner à Carduel et protester de son innocence. Mais comment osera-t-il ajouter le mensonge à sa trahison déjà si profondément criminelle, et ternir plus irrémédiablement encore son honneur de chevalier ? Non, Lancelot ne saurait le faire, même pour sauver Genièvre. À la fin pourtant, devant les supplications de la reine, il cède ; il mentira, soit, et après il cherchera, par une mort glorieuse, à expier son forfait.

C’est Genièvre alors qui refuse ; elle veut vivre avec Lancelot et pour Lancelot. Et

les amants s’enfuient, éperdus et ravis, afin de s’aimer désormais librement, loin de tous.

Un interlude où, à des rythmes syncopés et haletants, à des harmonies troubles succèdes d’énergiques et francs accords d’une intensité sans cesse croissante, puis, dans le mode mineur, le principal thème chevaleresque, celui d’Arthus ou de la Table ronde, si l’on veut, enchaîne ce tableau au suivant. Le roi attend en vain Lancelot ; il voudrait croire à l’innocence de son chevalier, et malgré lui, il doute. En même temps, il a observé les premiers symptômes de révolte parmi les siens, il voit son œuvre ébranlée, la Table ronde en péril, et se décide à évoquer Merlin, qui depuis longtemps dort aux bosquets de Viviane. De curieuses harmonies accompagnent, pianissimo, l’apparition du vieux devin. Merlin prophétise la fin de la Table ronde, mais disparaît sans avoir dissipé les doutes d’Arthus sur Genièvre et Lancelot. Affolé, le roi s’élance alors à travers le palais, pour savoir enfin, et il apprend la fuite de Genièvre. En même temps éclate la révolte des chevaliers mécontents.

Le troisième acte débute par une sombre et poignante page orchestrale. Sur un roulement de timbales, une clarinette contrebasse énonce par deux fois une courte phrase, presque un soupir, que reprennent et développent les violoncelles, puis les bassons, tandis qu’à contretemps les cors plaquent des harmonies attristées. Une répétition, avec des timbres différents, de la même progression, amène des appels férocement rythmés par l’orchestre, qui évoquent admirablement la mêlée, tandis que se lève le rideau. Genièvre et son écuyer Allan cherchent à voir, de loin, la bataille que se livrent les partisans d’Arthus et ceux de Lancelot. Soudain, des cavaliers apparaissent, haletants, et parmi eux Lancelot, qui n’a pas osé venir devant Arthus et qui a eu honte de la lutte sacrilège.

Malgré les implorations de Genièvre,