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l’anneau qu'il a laissé à une femme en gage de sa foi. Les thèmes caractéristiques de l’enclume (xi), du dragon (xii), du Tarnhelm,

xi

[partition à transcrire]

xi. – Thème de l’enclume

de l’Anneau (i), de Brünnhilde (iv) se succèdent, complétant, commentant, développant le récit.

xii

[partition à transcrire]

xii. – Thème du dragon

Cependant Gutrune vient d’apporter les cornes à boire. Dans l’une d’elles, Hagen a versé le philtre d’amour. Siegfried boit d’un trait la liqueur magique. Aussitôt son regard s’attache brûlant sur la soeur de Gunther. Tout souvenir de Brünnhilde s’est effacé.

Cette idée du philtre a toujours semblé un regrettable artifice dans la structure du drame des Nibelungen. Autant celui de Tristan, essentiellement symbolique, était facilement explicable[1], autant ce changement subit de Siegfried oubliant la déesse qu'il a conquise au prix des plus terribles combats, ne se souvenant plus d’un seul fait passé, et partant conquérir une seconde fois, et pour un autre, sa propre femme, a semblé puéril et absurde. Des critiques dont l’absolu dévouement à l’idée wagnérienne ne saurait être suspecté, M. Schuré par exemple, ont déclaré ne pas comprendre. M. Ernst veut interprêter

ce philtre comme un symbole, en l’assimilant à celui de Tristan et Isolde. Siegfried, dit-il, est victime de la fatalité, ainsi que le prouve l’apparition du thème de la Malédiction d’Alberich, au moment même où il pénètre chez les Gibichungen. En outre, Brünnhilde dit à la fin de l’acte ii, « le philtre qui m’enchanta mon époux, c’est Gutrune ». Cette seconde explication me paraît infiniment plus logique que la première. Si l’on veut bien se reporter aux description précédemment données, soit dans le poème, soit par l’orchestre, du caractère de Siegfried, on se rendra compte que la force du raisonnement et la suite dans les idées ne sont pas ses qualités dominantes. Il « chasse joyeux à l’action », ainsi que le disait Hagen, quelques pages plus haut. Dans cette course à l’action, le présent seul existe pour lui ; les beaux yeux de Gutrune ont eu, probablement, plus d'influence sur cette âme primitive que les herbes de Hagen. Le philtre du Crépuscule symbolise, non plus l’amour éperdu et transcendant d’un Tristan ou d’une Isolde, mais l’attrait violent et irrésistible qu’éprouve un jouvenceau plus qu’à demi sauvage pour une fille jeune et fraîche, préférable pour lui à une princesse lointaine, fût-elle même fille de Wotan.

Quoi qu’il en soit, Siegfried a tout oublié, et lorsque Gunther lui parle de Brünnhilde et du désir qu’il a de l’avoir pour épouse, il met au service de son hôte son bouillant courage et propose d’aller chercher la Walkyrie à travers les flammes qui la défendent. « Qu’un serment nous enchaîne ! » dit Gunther : ils boivent quelques gouttes de leur sang mêlé dans du vin. Une fois encore le thème de la Malédiction d’Alberich (iii) vient annoncer la trahison et promettre la mort aux deux guerriers qui viennent de se jurer alliance. Hagen, dont le thème des forges de Bibelheim (xi rappelle la sombre origine

refuse de se joindre à eux. C’est lui qui
  1. V. dans la Revue Musicale de Lyon, mon étude sur Tristan et Siegfried.