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Page:Revue Musicale de Lyon 1903-12-22.pdf/8

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revue musicale de lyon

le Tondeur) se promène au milieu de son parterre. Un dessin très léger des premiers violons l’accompagne. Le sécateur en main, il va dans la nuit finissante choisir ses fleurs les plus fraîches. Le chant orchestral va crescendo, l’aube paraît, les fleurs s’éveillent et commencent sur le thème d’une valse lente une série de figurations. Selles se disposent en corbeilles d’aspect varié, tandis que les violoncelles chantent une caressante mélodie, spirituellement agrémentée d’un contrechant des cordes hautes. Puis, c’est un intermezzo, le jardinier muni d'un arrosoir poursuit le Myosotis (Mlle Cerny) qui, par un symbolisme qui ne nous déplait point, est le roi du Parterre. L’orchestre va crescendo à grand renfort de cuivres et de batterie, puis s’éteint pour laisser entendre le chant d'un hautbois solo qui nous annonce l’arrivée d’un jardinier travesti (Mlle Saint-Cygne) ; la pastorale est suivie d’une polka, très gracieusement phrasée par les premiers violons au moment de la rentrée du ballet qui entoure le jeune berger. Un adagio et un allegro se succèdent. Le papillon (Mlle Ghibaudi), est entré dans le parterre. Il poursuit le Myosotis. Signalons un motif extrêmement mélodique du premier violon solo et dont l’accompagnement par les bois est particulièrement intéressant ; puis la phrase tumultueuse des trombones à laquelle se superpose un dessin des cordes du plus heureux effet. Et c’est enfin une série de variations et le final comportant une mazurka et une apothéose.

L’interprétation chorégraphique a réuni tous les suffrages. Mlle Cerny, Mlle Ghibaudi, Mlle Saint-Cygne, sont dans des genres différents, d’une grâce parfaite, et ont fait preuve du plus réel talent. Il n’y a que des compliments à adresser à M. Soyer le Tondeur pour la manière dont il a réglé les pas, les ensembles, la figuration. L’apothéose en particulier, était d’un goût exquis.

Quant à la partition, elle fait le plus grand honneur à M. Flon. Elle nous a semblé fort supérieure aux productions classiques de Delibes ou de Luigini. Relevons surtout la science orchestrale et contrapuntique qu’elle dénote, l’heureux emploi des bois et la variété des timbres ; la finesse des dessins de cordes, l’adresse des transitions et des oppositions dans un genre que l’inévitable constance du

rythme ternaire tend à rendre facilement monotone. Le seul reproche que l’on pourrait adresser à cette musique à la fois habilement facturée et agréablement mélodique, ce sont quelques réminiscences de Delibes ou d’Hérodiade. Il n’en reste pas moins que Myosotis est une œuvre charmante que nous serons heureux d’applaudir souvent encore.

Werther

Il y a deux choses intéressantes dans Werther, le caractère du personnage principal, et l’habileté de facture de la partition.

Le werthérisme est une maladie mentale qui fit fureur, mais qui a actuellement évolué d’une façon complète. Il y a un siècle la mode était d’aimer la Nature, le Clair de lune, l’irréel, l’impossible, de désespérer à tout propos et de se tuer hors de propos. De nos jours on a inventé la dégénérescence, et depuis que Lombroso a prétendu que d’être dégénéré était l’indice du génie, tout le monde se tâte pour se trouver des stigmates. Il n’y a pas encore de dégénéré supérieur dans le répertoire d’opéra, mais M. Massenet nous a gratifié d’un intéressant mélancolique. C’est en définitive autour de l’âme werthérienne que gravite toute la partition, les autres personnages étant plutôt falots. Les pages essentielles sont en effet l’entrée de Werther, le Clair de lune, l’air d’Ossian, la scène de la mort. Je ne parle pas de l’aria J’aurais sur ma poitrine qui est un lamentable sacrifice au mauvais goût public. Mais ces quelques motifs ne suffisent pas à constituer une partition, et lorsque le rôle de Werther n’est pas tenu par un chanteur de goût doublé d’un habile comédien, l’œuvre de Massenet semble quelque peu creuse : il ne lui reste plus d’autre mérite que d’être merveilleusement écrite avec une orchestration d’une habileté inouïe. Au point de vue métier, c’est un chef d’œuvre à qui il ne manque d’ailleurs qu’une inspiration égale et soutenue pour être réellement et définitivement une œuvre.

La représentation de samedi ne comptera pas parmi les meilleurs de la saison. Il est difficile de comprendre par quelle aberration on confie un rôle aussi délicat, aussi finement psychologique, aussi difficile à soutenir quand on a derrière soi des interprétations

comme celle de Scaremberg et de Leprestre,