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même, l’œuvre d’art, universelle et humaine, par ses origines et ses attaches ? Aujourd’hui, l’« intimité » s’est substituée au « sentimentalisme » vague d’où naquirent Werther et la Fantastique. Actuellement, disait notre distingué collaborateur, L. Aguettant, dans une remarquable étude, consacrée à Gabriel Fauré[1] — « le Lied attire singulièrement les meilleurs d’entre nos musiciens. Sur les bords de ce lac que l’on nous disait inaccessible, M. Saint-Saëns promena ses nostalgies d’Orient, et M. Massenet ses grâces expertes d’Occidental lassé. La muse d’Ernest Chausson aimait ces eaux pensives ; elle y inclina longuement sa grave douceur ; celle de M. Henri Duparc, y vint épancher une blessure mystérieuse. Une autre muse au trivial cortège troubla le recueillement du site, trop bruyante, étant de Montmartre. Et je vois des passants nouveaux, dignes de ces nobles rives : M. Charles Kœchlin, M. Charles Bordes, M. Debussy… »

Une telle description est un programme : je m’efforcerai de le suivre et de faire comprendre, sinon aimer, les nobles artistes, dont tant de musiciens ignorent jusqu’aux noms estimés. Trop heureux si je puis vaincre l’impitoyable et lâche adversaire des penseurs originaux, des musiciens sincères à la recherche d’un nouvel et plus haut idéal, l’aveuglement volontaire de la critique, l’indifférence veule des foules.

(À suivre).

Henry Fellot.


Musiques d’Église

(suite)

En 1883, Dom Pothier fit paraître le Liber Gradualis. L’auteur ou plutôt les auteurs de cette édition, s’appuyant sur la parfaite conformité entre eux des manuscrits antérieurs au xvie siècle, publiaient un texte qui est substantiellement celui du manuscrit de Montpellier, mais le traduisaient d’après les manuscrits avec les formes des anciennes notes et des anciens groupes qui favorise grandement l’intelligence du texte musical ; de plus, ils énonçaient une méthode d’interprétation nouvelle et rationnelle. Don Pothier offrit son livre au Pape qui remercia et félicita l’auteur, tout en faisant observer que ces félicitations n’enlevaient rien de leur autorité aux décrets précédents qui demandaient l’adoption universel de l’Édition officielle. En 1894, après de nouvelles discussions aussi passionnées dans lesquelles on allait jusqu’à attaquer l’honorabilité du Cardinal Bartolini, qui avait concédé en 1873 le privilège pour l’officielle, et celle de l’éditeur Pustet, nouveau décret de Léon xiii confirmant les précédents et exprimant de nouveau le désir, presque un ordre, de voir adopter partout l’Édition officielle.

On ne pouvait cependant fermer les yeux sur les évidents progrès du mouvement archéologique ; les savants travaux des Bénédictins de Solesmes, les exécutions remarquables obtenues même avec des chanteurs sans culture musicale, montraient que le texte des manuscrits était incomparablement supérieur au texte officiel, et facile à chanter en raison même de son intégrité. Nombre de communautés et même de diocèses adoptaient l’édition des Bénédictins ; la Schola Cantorum de Paris exécutait et poussait ses adhérents à exécuter le plain-chant traditionnel ; l’édition officielle ne pouvait résister à une comparaison attentive de son texte avec celui de l’édition dite grégorienne. À Rome même, on commençait à s’apercevoir qu’à vouloir restaurer l’unité du chant liturgique, il valait mieux la restaurer en se servant d’un texte scientifiquement reconnu comme authentique, et d’ailleurs esthéti-

  1. « Courrier Musical » (6e Année, no 3).