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rompus trop peu souvent par les jolis airs ou les charmantes ariettes que l’on trouve à chaque page de ses premières œuvres. Et cette sensation de monotonie est d’autant plus forte que Gluck, dont l’inspiration mélodique est d’une richesse admirable, est trop loin d’avoir la technique d’un Bach, semble ignorer la variété dans les modulations, et n’a même pas le métier qui lui permettrait, comme à Rameau, de donner un intérêt orchestral à ses récitatifs les plus banals. Il s’est du reste, dans Armide, privé volontairement de nombreux moyens d’expression en n’employant pas les trombones et en se servant à peine des trompettes et des timbales.

À côté de notre art moderne agité, inquiet et fiévreux, cet art simple nous semble trop primitif et quelque peu enfantin. « Il faudrait avoir, me disait-on, une âme de première communiante pour goûter pleinement de telles œuvres » et, la seule mélodie, la vraie mélodie de coupe réglée, peut nous satisfaire : aussi, la première partie d’Armide, et, en général, toutes les scènes vraiment dramatiques de l’œuvre (en dehors de la scène de la Haine) nous ennuient-elles et nous ne prenons un vrai plaisir qu’aux parties accessoires de l’opéra, aux hors-d’œuvres. Indifférents aux imprécations les plus tragiques de la magicienne, nous nous laissons, par contre, agréablement bercer par le doux balancement de telles ariettes et nous goûtons pleinement le charme infini des ballets, gavottes, menuets, siciliennes, à l’inspiration délicate et toujours exquise avec leur accompagnement si simple et si discret, spécimens typiques de cet art un peu mièvre et mignard du xviiie siècle, dans lequel la passion se transforme en amourette, l’amour se mue en galanterie, et les sentiments les plus graves s’estompent en une sentimentalité à fleur de peau, délicieusement aimable et coquette.

Ceci n’est sans doute qu’une opinion toute personnelle, mais je la crois partagée par plus d’un musicien qui n’ose peut-être s’avouer à lui-même tout l’ennui que lui procurent les cinq actes d’Armide et aussi tout le plaisir qu’il éprouverait à entendre seulement quelques airs détachés de cette importante partition, belle, mais trop cérémonieuse, toujours distinguée, mais peu lyrique. Et que l’on ne s’imagine pas qu’il faille, en ces temps de renaissance gluckiste à outrance, un certain courage pour avouer en toute franchise son opinion : maintenant que Orphée, Iphigénie, Alceste sont joués partout et, pour ainsi dire, tombés dans le domaine public, les musiciens d’avant-garde qui dirigent le mouvement musical, comme Paquin ou Worth lancent la mode des couturières, abandonnent quelque peu Gluck et célèbrent, avec raison, notre vieux maître français Rameau, au détriment du premier, en attendant que Rameau, devenu trop populaire, lui aussi, soit remplacé par Monteverde, récemment « lancé » par la Schola Cantorum. Et nous tenions à prévenir de ce mouvement les bons snobs désireux de paraître avancés mais qui, à l’instar de certains baromètres fatigués, ne sauraient prévoir et annoncer la pluie et le beau temps et se contentent d’enregistrer, après coup, les variations météorologiques survenues dans l’atmosphère de l’Art musical…

On raconte que, peu de temps avant la création d’Armide à l’Opéra, Gluck disait à Marie-Antoinette, sa royale élève et protectrice : « Madame, ce sera superbe ! »

Suivant cet exemple, M. Broussan, directeur du Grand-Théâtre, inondait depuis quinze jours les rédactions des journaux quotidiens de notes et communiqués développant, pour son compte, le Ce sera superbe de Gluck. Nous sommes, hélas ! obligés de reconnaître que cette création d’Armide, tant célébrée, fut simplement médiocre et parfois pire.

Nous ne voudrions pas critiquer trop vivement Mme Mazarin et M. Verdier, mais il faut bien reconnaître que la première — dont les toilettes étaient magnifiques et criardes — a hoqueté et pleurniché le rôle d’Armide d’une façon bien pénible et bien peu digne d’une magicienne à qui nul preux ne résiste, et que le second n’a pas la voix qui convient au rôle difficile de Renaud (Oh ! cette incertitude vocale et cet emploi douloureux et incessant des quarts de ton non encore introduits dans notre musique occidentale !). Les rôles secondaires, à part celui de Cheva-