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Page:Revue belge de philologie et d’histoire, Tome 1.djvu/89

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commerce et de l’industrie. Les villes, dont elle entretenait l’activité, se dépeuplent et tombent en ruines. À l’économie urbaine se substitue une économie rurale sans débouchés. Bref, dans tous les domaines s’accomplit un renversement complet de l’ordre traditionnel. Et sortant de la communauté méditerranéenne, l’Europe occidentale, c’est-à-dire l’Europe carolingienne, se constitue en un monde distinct. Qu’on l’observe du point de vue politique, du point de vue religieux ou du point de vue économique, c’est partout le même spectacle. L’Empire franc s’oppose à l’Empire byzantin, l’Église latine à l’Église grecque, les grands domaines et les seigneuries féodales aux cités manufacturières et au gouvernement bureaucratique des territoires régis par Constantinople.

Comment expliquer un phénomène d’une portée si vaste qu’il a déterminé le cours de la civilisation européenne ? La question vaut la peine d’être posée, car il semble que les historiens aient négligé non seulement d’y répondre, mais même de remarquer qu’elle existait. Oubli étrange, à première vue, mais qui pourtant se comprend sans peine. Il convient, ce semble, d’en chercher la raison dans l’habitude invétérée que nous avons prise de considérer en soi et pour ainsi dire comme des quantités incommensurables l’antiquité et le moyen âge[1]. On dirait qu’entre celui-ci et celle-là se creuse un abîme infranchissable. Du moins personne ne se risque-t-il à le franchir. Les historiens de l’antiquité s’arrêtent sur l’un de ses bords comme les médiévistes le font sur l’autre. Ni les premiers ne cherchent à descendre plus bas, ni les seconds à remonter plus haut. Il en résulte qu’ils ne se rencontrent nulle part et qu’il existe entre leurs positions une sorte de no man’s land. Chaque équipe de travailleurs étudie son sujet comme s’il constituait un bloc autonome. Ils l’examinent, non de l’extérieur, mais du dedans, et il est clair qu’en

  1. Remarquer que presque toutes les histoires dites générales ou universelles commencent à la fin de l’antiquité. Il faudrait, si l’on voulait traiter la question dans tous ses développements, signaler que la conception philologique qui réserve aux philologues l’étude de l’antiquité a largement contribué à la situation signalée ici.