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Page:Revue belge de philologie et d’histoire, Tome 1.djvu/90

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procédant ainsi ils n’en obtiennent qu’une vue incomplète et déformée. Du point où ils se placent l’horizon qu’ils découvrent est trop étroit ; leur regard ne peut suivre le prolongement de ses lignes dans le lointain.

Il faut bien reconnaître que les divisions que nous imposons à l’histoire, en vertu de nécessités d’exposition ou de recherches, ne répondent point à la réalité. Ce sont des étiquettes commodes, des manières de parler auxquelles il convient de n’attribuer aucune précision scientifique. Il en va d’elles comme des expressions par quoi nous désignons les phases de notre existence. Qui songe à attribuer quelque rigueur aux termes d’enfance, de jeunesse, d’âge mûr et de vieillesse ? Entre la naissance et la mort, notre vie n’est qu’une série de transformations dont aucune ne commence ni ne s’achève à date fixe. Et ce qui est vrai d’elle l’est bien plus encore de la vie de la société. Sa continuité ne se répartit pas en compartiments et, pas plus que le courant d’un fleuve, elle ne supporte de cloisons étanches. L’antiquité ne finit pas, elle se prolonge à travers quantité de nuances et de dégradations, dans le moyen âge, comme le moyen âge se prolonge lui-même dans les temps modernes. Et du point de vue proprement historique, ce sont justement les périodes intermédiaires, les périodes de transition qui s’imposent surtout à l’attention, parce que c’est en elles que peuvent le mieux s’observer les changements sociaux qui forment l’objet même de l’histoire.

Si cela est vrai, il en résulte que les médiévistes, en abordant l’étude de l’Empire carolingien comme ils le font, posent mal le problème à résoudre. Étant médiévistes, ils l’envisagent uniquement du côté ou, si l’on veut, en fonction du moyen âge, ils s’abstiennent de le regarder du côté de l’antiquité. Mais dès lors il ne tiennent compte que d’une partie des éléments de la question, et partant leur solution n’y est pas adéquate. À leurs yeux, le peuple franc, dès la conquête de la Gaule par Clovis, a déterminé l’avenir de l’Europe. Ils voient dans le royaume mérovingien le point de départ et la condition essentielle de l’œuvre carolingienne. En conséquence, ils attribuent aux Germains une importance capitale. Ce n’est pas seulement l’école alle-