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Supplément à la REVUE BLEUE duSt novembre 1891. LA REiXTREE A LA SORBONNE Inauguration du buste d’Albert Dumont. Le 12 novembre, M. Bourgeois, «inistre de l’instruction publique et des beaux-arts, assistait à l’inauguration du buste d’Albert Du- mont. Ce buste, œuvre de M. J.-C. Chaplain, beau-frère d’Albert Dumont. vient d’être placé dans la bibliothèque des étudiants, à la- quelle la Faculté a donné le nom dn regretté directeur de l’enseigne- ment supérieur. M"’" Albert Dumont et sa famille, tous les profes- seurs de la Faculté, une délégation des étudiants en Sorbonne et de l’Association générale des étudiants attendaient le ministre, qu’ac- compagnaient M. le vice-recteur, MU. les directeurs de l’enseignement supérieur, de l’enseignement primaire et du secrétariat. M. le doyen Himly a pris la parole en ces termes : Monsieur le Ministre, Messieurs, Nous sommes réunis ici pour rendre un pieux hommage à un homme que nous avons bien aimé vivant, amèrement regretté mort, et dont le souvenir reste et restera gravé dans nos cœurs. Albert Dumont a inscrit son nom au pre- mier rang parmi ceux des réorganisateurs de l’enseigne- ment supérieur en France; il a été plus particulièrement le patron dévoué de notre Faculté, où il avait pris le doctorat et où il rencontrait de vieilles et intimes amitiés. C’est grâce surtout à son initiative aussi prudente que décidée, à sa sol- licitude toujours en éveil, que les vieux cadres de l’ensei- gnement de la Sorbonne ont été singulièrement élargis, en même temps que des installations provisoires venaient abriter, avec leurs petites bibliothèques, le millier d’étu- diants qui se pressaient dans nos cours et dans nos confé- rences, bien avant que leur nouveau palais, à l’élaboration des plans duquel il a largement contribué, fût prêt à les recevoir. La profonde gratitude que nous lui avons vouée s’est déjà manifestée sous plusieurs formes. Au lendemain même de sa mort, la Faculté a décidé que le groupe de salles que ses soins avaient fait provisoirement aménager pour nous dans la petite cour de la Sorbonne, afin de dégager les salles Gerson devenues insuflisantes, prendrait le nom de salles Albert Dumont; puis, quand ce second berceau de nos con- férences eut, comme le premier, tombé sous le marteau des démolisseurs, elle a transféré le nom qui lui était cher à la bibliothèque, dorénavant commune à toutes les conférences, qui nous donne en ce moment l’hospitalité. D’autre part, elle a accepté avec empressement l’administration du fonds considérable, rapidement réuni parmi les amis et admirateurs du défunt, pour perpétuer son souvenir, et qui, sous le nom de donation Albert Dumont, sert à attri- buer annuellement au premier agrégé d’histoire un prix de 250 francs. Aujourd’hui, c’est mieux que le nom, c’est la reproduc- tion fidèle des traits du cher mort que nous pouvons placer devant les yeux de nos étudiants, qui, sans l’avoir connu, lui sont si profondément redevables Celui d’entre nous qui a, pendant quelques années déposé sa robe de professeur pour diriger les Beaux-Arts, a demandé pour notre maison, et M. le ministre s’est empressé de nous accorder ce buste si ressemblant, vivant dans sa calme sérénité, auquel la main et le cœur d’un artiste illustre ont travaillé de con- cert. Que tous les trois reroivent les remerciements les plus chaleureux de tous les membres de la Faculté. Chacun de nous eût été heureux et fier, en cette occasion solennelle, de faire l’éloge de l’ami dont, malgré la fuite des années, nous déplorons comme au premier jour la mort prématurée. Mais il nous a semblé que celui qui pourrait le plus complètement rendre justice à la grande œuvre uni- versitaire d’Albert Dumont, c’était l’homme qui a accepté son lourd héritage et qui le porte avec le même dévoue- ment. Lui aussi, d’ailleurs, il est docteur de Sorbonne et ami sur de la maison. Qu’il parle donc, pour que les vieux se remémorent, et que les jeunes apprennent quelle perte la science, l’université et la patrie ont faite en Albert Du- mont! La parole est M. Liard. DISCOURS DE M. LIARD, DIRECTEUR DE l’eNSEIGNF MENT SLPÉRIErR. Messieurs, Une place était bien due dans cette nouvelle Sorbonne à l’image d’Albert Dumont, parce que, matériellement et mo- ralement, il a été l’un des fondateurs de la nouvelle Sor- bonne, et, dans tout le vaste édifice, aucune place ne con- venait mieux à cette image que cette salle de travail, parce qu’avec son matériel d’études elle dit, d’une faron très simple, mais en même temps très expressive, l’œuvre uni- versitaire d’Albert Dumont. Cette œuvre, pour la bien comprendre, il ne faut pas l’isoler de sa vie, car, dans sa vie, elle a été, non pas un épisode accidentel, mais une phase organique. Peu d’exis- tences ont eu autant d’unité que la sienne : je ne parle pas de cette unité extérieure qui, une fois prise, se fixe et se conserve comme la forme d’un cristal, mais de cette unité interne qui évolue et se développe, et dons les transforma- tions apparentes ne sont que l’épanouissement graduel d’une même raison séminale. Chez Dumont, voici en quel- ques traits les stades de l’évolution : il débute par l’érudi- tion; l’érudition l’élève aux idées générales; les idées géné- rales le poussent à l’action; l’action l’introduit dans la vie publique, et, du commencement à la fin, son idée motrice et directrice à la fois, c’est l’idée de la science.

débute par l’érudition. Vous savez tous avec quel talent 

et quel succès. Du premier coup, il s’y révèle un maître. Mais ce n’est pour lui qu’un début. L’érudition, c’est le fait, le fait exact, patiemment observé, rigoureusement déterminé; mais ce n’est que le fait, et, pourlui, le fait n’a de valeur que par .son rapport à l’ensemble. La .science qui ne va pas au delà n’est pas la vraie science. Elle est à celle-ci ce que rappareillour est à l’architecte. Klle taille les maté- riaux; elle ne les assemble pas. Sans doute, aucun fait n’est indifférent et l’érudit a raison de tes rechercher tous; mais pour achever la science, il faut que de ces mille détails, comme d’un système de vibrations infiniment petites, jail- li.sse un faisceau de lumière. Après les faits, au-dessus des faits, sortant des faits, les idées générales. Pour Dumont, l’érudition, l’archéologie, ne sont que des auxiliaires des « sciences historiques et sociales, qui se pro- posent de retrouver et de définir les facultés particulières à chaque peuple, de les classer, d’en montrer le rapport, d’en suivre le développement, d’en comprendre l’harmonie, de découvrir ainsi, par opposition aux lois du monde physique, les lois de la vie morale ». Dans l’érudit, voilà le penseur. Le penseur à son tour va engendrer l’homme d’action. C’est chose bien remarquable, dans celte nature si riche et si complexe, que ce passage de la science à l’action. Ce qui le pousse, ce n’est pas simple- ment une ambition légitime, c’est une sorte de génie inté- rieur. En lui, les idées générales ne sont pa,s objet do pure contemplation : inimédiatemeul elles deviennent des impul- sions cl des forces motrices. Tout jeune encore, il disait :