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Page:Revue de Belgique, série 2, volumes 58-59, 1910.djvu/347

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ANTON BRUCKNER

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Ce fut une destinée singulièrement âpre et tragique que celle du grand symphoniste autrichien Bruckner, destinée qui n’est pas sans analogie avec celle de César Franck ; la différence essentielle consiste en ce fait que Franck mourût au milieu de l’indifférence quasi générale, tandis que Bruckner s’éteignait sous l’hostilité partiale qui accueillait la production de ses œuvres superbes.

Et, par un de ces revirements subits des foules, ironie du sort, la France qui méconnaissait C. Franck, l’Allemagne Wolf et l’Autriche Bruckner, sitôt ces maîtres disparus, découvrirent leur génie puissant et les sacrèrent immortels ! Il en est ainsi, hélas ! de presque tous les artistes novateurs : ceux mêmes qui, de leur vivant, leur jetaient le plus de pierres, la mort ayant tari la source géniale, s’empressent de les rassembler pour leur en élever un piédestal.

Comme l’a si bien dit R. Rolland en parlant de H. Wolf, c’est à présent qu’il faut crier à la masse inconstante et frivole ces phrases brutales mais justes, que pourraient penser les méconnus : « Vous êtes des hypocrites. Ce n’est pas pour moi que vous élevez ces statues, c’est pour vous-mêmes. C’est pour prononcer des discours, former des comités, faire croire aux autres et à vous-même que vous êtes de mes amis. Où étiez-vous, quand j’avais besoin de vous ? Vous m’avez laissé mourir. Ne jouez pas la comédie autour de ma tombe. Regardez plutôt autour de vous s’il n’est pas d’autres Wolf qui se débattent