Page:Revue de Genève, tome 3, 1921.djvu/200

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C’était à Munich, dans une maison située derrière la rue Schelling, à un des étages supérieurs. Dehors, derrière les larges fenêtres orientées au nord, régnait le ciel bleu, les gazouillements d’oiseaux, le soleil ; et le souffle jeune et doux du printemps, qui entrait à flots par un vasistas ouvert, se mêlait à l’odeur du fixatif et des couleurs à l’huile qui remplissait le vaste lieu de travail. La lumière dorée de la claire après-midi inondait sans rencontrer d’obstacles la spacieuse nudité de l’atelier, éclairait honnêtement le plancher un peu endommagé, la table grossière couverte de flacons, de tubes et de pinceaux, sous la fenêtre, et les études sans cadres contre les murs sans papier ; éclairait le paravent de soie fendillée qui délimitait, dans le voisinage de la porte, un petit coin habitable, meublé avec goût, pour les moments de loisir ; éclairait l’œuvre commencée sur le chevalet, et l’artiste et le poète auprès.

Elle pouvait avoir à peu près son âge, c’est-à-dire un peu plus de trente ans. Elle était assise, enveloppée de son tablier bleu foncé couvert de taches, sur un tabouret bas, et appuyait son menton dans sa main. Ses cheveux bruns frisottés et déjà grisonnants sur les côtés, couvraient ses tempes en ondes légères, et encadraient son visage brun, au type slave, très sympathique avec son nez épaté, ses pommettes saillantes et ses petits yeux noirs brillants. Tendue, défiante et comme irritée, elle examinait de biais, entre ses paupières à demi-fermées, son ouvrage.

Il se tenait à côté d’elle, la main droite appuyée sur sa hanche, et tournait rapidement de la main gauche sa moustache brune. Ses sourcils obliques remuaient et se contractaient sombrement, tandis qu’il sifflotait avec douceur comme à l’ordinaire. Il était vêtu d’une façon extrêmement soignée et cossue ; il portait un costume d’un gris tranquille et d’une coupe discrète. Mais sur son front tourmenté où les cheveux foncés se partageaient d’une façon remarquablement simple et correcte, passait un tressaillement nerveux ; les traits de son visage au type méridional étaient déjà très accusés, comme tracés et creusés par un dur burin, pendant que sa bouche gardait un dessin très doux, et son menton des contours infiniment délicats.