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POÈMES

Alexandre Block, le grand poète russe, vient de mourir, âgé de quarante et un ans. Son premier ouvrage, Poèmes consacrés à la Belle Dame, avait passé presque inaperçu. Il chantait, sous une forme mystérieuse et fuyante, l’arrivée imminente de Celle que tout le monde attend en prières, sans trop savoir qui elle est. On y voyait des diables épris, « un petit pope du marécage », amical « à tout reptile, sans distinction de religion », une vieille mère dans une maison submergée au fond d’un étang, — on y voyait bien d’autres choses bizarres et touchantes, et jusqu’à la Russie elle-même, qui était, sans doute, la Belle Dame. Voici un court poème de ce premier livre :



 
Je Te pressens. Les années s’en vont.
Unique image, je Te pressens toujours.
L’horizon est en feu, scintille, éblouissant,
Et je T’attends en silence — et je suis plein d’amour et d’angoisse,
L’horizon est en feu, l’apparition est prochaine.
Et j’ai peur : Tu pourrais être différent
Et susciter en moi un affreux soupçon
Parce que Tes traits habituels seraient changés !
Quelle déchéance, pour moi, douloureuse et basse...
Quelle impuissance à réaliser mes rêves mortels…
L’horizon est serein, la clarté s’approche,
Mais j’ai peur : si tu allais changer Ton image.