Page:Revue de Genève, tome 3, 1921.djvu/335

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Après la révolution de 1905, le poète donna trois drames lyriques, Les Trétaux (qui ont été représentés à Genève par Pitoeff, en russe et en français). L’Inconnue et Le Roi sur la place. Le poème que nous donnons ci-dessous date de cette période douloureuse, durant laquelle Block mène, dans l’inquiétude, une vie de débauche, et traîne au cabaret l’enseignement de son maître, Wladimir Solovieff :


UNE INCONNUE


 
Le soir, au-dessus des cafés,
L’air chaud est désert et obscur ;
Là, règne de ses cris ivres
L’humeur délétère du printemps.

Au loin, au-dessus de la poussière de la rue,
Sur l’ennui des villas de banlieue,
Brille un craquelin d’or — enseigne d’une boulangerie,
Et des enfants gémissent.

Et tous les soirs, en dehors de la ville,
Le melon sur l’oreille,
Se promènent avec leurs dames, le long des fossés,
Des blagueurs qui ont fait leurs preuves.

Sur le lac grincent des tolets
Et des cris de femme,
Tandis que dans le ciel — prête à tout —
La lune fait une grimace stupide.

Et tous les soirs, je suis l’ami solitaire,
Qui se reflète dans mon verre de vin ;
Et le vin, fort et mystérieux,
M’apaise et m’abrutit.

À côté, entre les petites tables,
Les garçons somnolents se tiennent debout.
Et les pochards, aux yeux de lapins,
Crient : In vino veritas !