Page:Revue de Métaphysique et de Morale, vingt et unième année - 1913.djvu/259

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PLATON ET LA SCIENCE SOCIALE
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Peu de termes de la langue philosophique sont plus lourds de préjugés de toute sorte que le terme idéalisme. Il reçoit même, quand il s’agit de la politique et de la constitution de l’ordre social, une signification souvent fâcheuse, et il semble impossible à beaucoup de bons esprits qu’une politique d’inspiration idéaliste puisse avoir une valeur scientifique quelconque, qu’elle puisse partir des faits, et s’appliquer aux faits après avoir essayé d’en discerner les lois. Suspect aux techniciens de l’art politique, l’idéaliste ne l’est pas moins aux théoriciens de la science sociale ainsi qu’aux purs historiens. Tous sont d’accord pour le renvoyer à ses chimères.

Il serait difficile de trouver de cette disposition d’esprit commune un plus remarquable exemple que celui des jugements qu’on porte ordinairement sur la politique de Platon. Dès qu’on en parle, aussitôt quelques images se présentent et s’imposent à la pensée : gouvernement aux mains des philosophes, communauté des biens et surtout communauté des femmes et des enfants. En vertu d’une tradition dont l’autorité est souveraine, on se plait à voir seulement dans cette politique ce qu’elle peut avoir de choquant par rapport à nos propres idées ou de paradoxal par rapport aux conceptions sociales d’un Athénien du ive siècle. Elle ne tient, assure-t-on, nul compte des réalités, elle raisonne géométriquement sur les faits sociaux, elle construit dans l’absolu, elle use dans la détermination des principes d’une méthode foncièrement mystique. À l’observation des faits économiques et sociaux elle substitue les préoccupations proprement morales et la pure spéculation philosophique. Enfin, à ces faiblesses de la politique de Platon, on aime à opposer la supériorité de celle d’Aristote, si exacte, si positive, si pénétrante.

Certes je ne songe nullement, comme pour sauver Platon, à déprécier les mérites d’Aristote. Il n’y a pas lieu non plus de con