Page:Revue de Métaphysique et de Morale, vingt et unième année - 1913.djvu/260

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tester qu’il y ait dans la politique du premier beaucoup de choses qui ont étonné et qui étonnent encore, ni qu’il y soit fait une très large place à la réflexion abstraite. Mais, à grossir ainsi certains traits, tandis qu’on en laisse d’autres dans l’ombre, on risque d’altérer la vérité de leur rapport mutuel. Ce sont quelques-uns de ces traits sacrifiés que je voudrais mettre en lumière; je voudrais montrer qu’il faut voir en Platon non pas, comme on le fait trop souvent, un des plus éclatants législateurs du pays d’Utopie, mais un réformateur qui a appuyé son plan de réorganisation sur un examen réfléchi, philosophique et scientifique à la fois, des formes sociales passées et des formes sociales contemporaines et qui a voulu rattacher ce plan à une conception générale de ce que nous appelons les lois de la statique et de la dynamique sociale ^ Il y a dans l’œuvre de Platon un remarquable effort pour faire dépendre l'art politique d’une science sociale positive, où l’observation des réalités se mêle à la réflexion philosophique : il a été, plus qu’on ne dit, économiste et, qu’on me passe le mot appliqué à Platon, sociologue, sans jamais cesser d’être philosophe.

I

A la vérité l’éclat de la pensée philosophique est chez Platon si intense et d’un tel rayonnement qu’on s’est laissé aveugler sur ce qu’on lui doit à d’autres égards; l’attention s’est à peine attachée à des éléments qui sont enveloppés, et parfois dissimulés, dans les détours et les replis de la discussion dialectique et de l’exposition dialoguée. En outre son génie philosophique est dominateur : il est impossible qu’un tel esprit s’applique à quoi que ce soit sans y imprimer profondément le sceau de sa méthode et de ses principes. Mais prétendra-t-on lui en faire crime, et, parce qu’il possède au

1. Hegel parait avoir le premier compris que la politique de Platon n’est pas une œuvre de fantaisie (Gesch. cl. Philos., Il, 272 et suiv., éd. de 1833). Cette même thèse a été soutenue avec force, du point de vue historique, par IC. Fr. Hermann dans une étude intitulée : Die hislorischen Eléments des Plato- nischen Slaalmleals (1831), publiée dans ses Gesammelle Aôhcmdliingen, 1849 (principalement p. 141, l.l^, 159). Son opinion est particulièrement autorisée, puisque ce savant, en même temps qu’il fut un maitre en matière de plato- nisme, a étudié les conditions de la vie politique et juridique en Grèce dans^ des livres demeurés classiques. Dans deux dissertations deJNlarbourg (1836) il n montré en outre tout ce que les Lois de Platon ont emprunté de positif au droit grec et notamment au droit athénien. >