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être les derniers qu’elles forment. De cinq enfants que nous étions, — dit-il avec mélancolie, — il n’y a plus qu’une fille mariée dans le pays, et moi, le plus jeune.

Avant de se retirer, très timidement, il demanda la permission d’envoyer quelques fleurs.

— En ce moment, notre Provence est un jardin : les roses poussent jusque dans le creux des rochers, et vont se mirer dans la mer bleue.

Et ils se quittèrent comme on se quitte sans cesse, — confiant dans les lendemains inconnus et menacés.


XXVIII


Le 30 avril, vers six heures et demie, Louise, dans les salons de modes, chercha sa tante pour rentrer avec elle.

— Elle vient de s’en aller, — dit la caissière, — madame Block l’a fait appeler.

Louise partit seule. Dehors, sur le ciel clair, l’or et les roses du couchant étaient répandus. Elle pensa : « Cette soirée serait charmante, si je n’avais pas envie de mourir. »

Elle tourna à droite dans la rue de la Paix, et rien ne l’avertit que cette porte, sous laquelle elle entrait deux fois par jour depuis près de cinq ans, elle ne la franchirait jamais plus.

Il faisait si beau qu’elle s’en vint par la rue de Rivoli et les Champs-Élysées. Elle marchait, perdue dans un nuage formé par sa tristesse. Au bout de la rue de Castiglione, sur la terrasse des Tuileries, les deux bronzes de Gain se dressaient. Et soudain une vision se leva ; tout un autre passé, oublié, caché depuis longtemps par une vie nouvelle, se montra. Entre les groupes de bêtes féroces, dans une matinée d’un printemps lointain déjà, elle revoyait Fernand Epstein. Elle se revit elle-même, pleine de trouble et d’effroi… Que d’événements depuis, que de misères, que de joies, disparues aussi !

Elle continua sa route.

Avenue de Villiers, sa tante n’était pas revenue, Louise l’attendit plus d’une heure.

Défaite, décomposée, Félicité entra enfin et se laissa tomber dans un fauteuil.