Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/137

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— Il arrive une chose inconcevable, — dit-elle. — Qu’y a-t-il donc eu entre Silveira et toi ?

— Il y a eu qu’à la dernière séance il a été insolent et brutal et que je m’en suis allée aussitôt.

— Et pour ce portrait qu’il faisait de toi, dans quel costume as-tu posé ?

— Il m’avait demandé d’apporter un corsage décolleté que j’ai mis deux fois.

— Eh bien, ma pauvre enfant, tu es au Salon : je viens de l’apprendre par madame Block qui était au vernissage avec son frère. Tu es en nymphe, toute nue, sur un fond de feuillage… Quelle infamie, mon Dieu, quelle infamie !

Et Félicité essuya ses yeux en pleurs.

— On s’écrasait devant le tableau ; beaucoup de femmes te reconnaissaient, on chuchotait, on riait. C’était un scandale, mais c’était aussi un triomphe : car on dit que ce misérable a fait un chef-d’œuvre. Il a donné à la figure une expression si voluptueuse, si provocante, que tous les hommes restaient plantés devant, les regards allumés.

Elle se tut, de nouveau gagnée par les larmes.

— Madame Block a été très bien, — fit-elle ensuite. — Elle n’a pas douté un instant que tu ne fusses victime d’une scélératesse, et elle a chargé son frère de voir des membres du jury, afin qu’ils obligent Silveira à retirer la toile ou du moins à atténuer la ressemblance. Mais demain matin le Salon est public, et pourra-t-on agir d’ici là ? Ah ! si monsieur Toussard était à Paris, les choses ne se passeraient pas ainsi, ce drôle trouverait à qui parler.

Elle ne disait rien d’une autre protection, qui, celle-là, eût été toute-puissante, dont l’absence causait en somme tout le mal, mais qu’il eût été trop cruel d’évoquer.

Louise, atterrée gardait le silence, devant cette catastrophe sans nom, et elle songeait :

« Ou me cacher, comment disparaître ? »

La vie devenait vraiment trop terrible.

Très avant dans la soirée, elles se tinrent désolées vis-à-vis l’une de l’autre. Félicité elle-même avait perdu sa vaillance.

Par la fenêtre entr’ouverte, on sentait la nuit très douce, l’air tout chargé des effluves du printemps. Et, voyant fuir