Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/146

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tout de suite les arguments les meilleurs pour toucher la pauvre Louise. D’ailleurs il était honnête et parfaitement sincère. Il administrait avec une entière loyauté cette fortune rurale et industrielle, d’une gestion difficile et compliquée, s’attribuant à lui-même des émoluments proportionnés à son zèle, qui était considérable.

Le neuvième des douze enfants du Révérend Walter Smith, pasteur à Gibraltar, il avait été engagé tout jeune par le syndicat des Hôtels Internationaux, ces carrefours du monde, où, de Sidney à Singapour et à Monte-Carlo l’humanité mange les mêmes grillades et les mêmes pickles, dans un décor somptueux, banal, — et monotone à l’égal de ce paradis dont elle ne tenta jamais au cours des siècles de varier le rêve.

Ce fut durant une saison à Rome qu’il rencontra le comte Kowieski. La vigilance, la fermeté, l’incorruptibilité, qu’il montrait dans ses fonctions de directeur-gérant, émurent d’admiration le grand seigneur venu de ces régions boréales où la fraude et l’improbité se glissent sous les façons serviles, où la neige semble s’étendre pour tout étouffer et amortir. Le comte Kowieski, rencontrant un employé scrupuleux, n’en put croire ses yeux. Il fit tout pour se l’attacher et finalement y parvint. William Smith devint son secrétaire, et le comte put vivre désormais, à sa guise, dans l’apathie, la langueur et la négligence de tout…

Louise, muette, attentive, agitée, avait écouté William Smith. Et, tandis qu’il parlait, elle voyait, dans l’infini des steppes mornes se dresser avec ses hautes tours crénelées un château semblable aux burgs du Rhin.

Sans doute, elle avait songé à disparaître, mais, tout à coup, la pensée d’abandonner Paris, la ville riante et fleurie, pour s’en aller en des pays sauvages, la remplissait d’effroi.

Et cependant, ce qui s’offrait à elle, c’était bien la réalisation inattendue et singulière de son secret désir. Elle échappait ainsi à ses persécuteurs, rendait impuissantes leurs attaques ; et, ce qui la touchait bien plus, elle mettait entre elle et celui qui l’avait quittée un abîme devant lequel il resterait dérouté. Elle se figurait sa surprise et sa douleur et elle s’en réjouissait. Ce serait sa seule vengeance. Car elle savait bien que de loin il la suivait toujours avec un souci passionné. Les