Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/147

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lettres venues de Madère et demeurées sans réponse, les questions à Robert, l’attestaient suffisamment. Et, dès lors, il la chercherait en vain à travers la terre immense.

Toutes ces idées, tumultueusement, passaient en elle, la jetaient dans un grand trouble.

— Monsieur, — dit-elle enfin, — j’ai traversé de cruelles épreuves, et mon courage n’est pas toujours aussi fort que ma misère. Depuis quelque temps, je vous l’avoue, je désirais, pour sortir de ma vie, m’en aller n’importe où, et voici que maintenant votre projet me glace de crainte.

— Il ne faut pas, — dit Smith ; — ce n’est pas raisonnable. Je vous invite à venir dans un pays charmant, où le climat est délicieux. C’est le jardin de la Russie, plein d’arbres fruitiers et de fleurs. Le château, bâti au xviiie siècle par un architecte français, est un vrai palais. Vous y serez très heureuse… Vous autres Françaises, vous avez peur de tout ! Réfléchissez. Dans cinq jours, vous me direz votre réponse. D’ici là, je vais à Gibraltar.

Cette visite laissa Louise plus calme. Elle n’arrêtait rien encore, mais du moins elle se découvrait une issue, un moyen de fuir autrement que par un coup de désespoir.

Espérant un peu de paix parmi les morts, elle s’en alla au cimetière Montmartre ; comme elle franchissait la grille, madame de Couza, avec une amie, descendait de voiture. Louise n’eut que le temps de se dérober derrière une chapelle.

Alors elle ne bougea plus de chez elle. Par sa fenêtre entrait l’azur profond du ciel, l’aveuglant et la blessant.

Auprès de sa tante, non plus, elle ne trouvait nul réconfort. Lorsque celle-ci rentrait du magasin, Louise cherchait sur le visage de Félicité la trace des affronts subis à cause d’elle. Et, comme chacune croyait avoir causé le malheur de l’autre, elles s’entraînaient mutuellement dans une tristesse sans fond. Elles ne savaient plus que se dire, et le silence devenait entre elles pénible comme des reproches.

Et Louise pensait :

« Monsieur Toussard va revenir ; elle se consolera. Mais, s’il me trouve là, je serai entre eux un sujet de malaise, de dissentiments et de chagrins. »

Enfin, le cinquième jour, celui qui devait ramener Smith,