Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/166

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Louise le remercia, le rassura : son malaise n’était rien, elle en était déjà remise. Alors lui, la voyant si délicieuse et désirable dans sa langueur, s’enhardit, tenta de glisser le bras, au long du divan, parmi les mèches blondes répandues. Mais elle, émue, palpitante encore à la pensée de l’autre, dont elle avait senti tout proches le désir et le souffle, eut un grand frisson, se déroba. Et le comte Kowieski, timide, méfiant de lui-même, n’insista pas.

Dès le lendemain, Louise écrivit à sa tante :

Dites-lui de ma part que, puisqu’il a refait sa vie à sa guise, je le prie de ne plus se mêler de la mienne.

Elle retourna à ses lectures, mais elle n’avait plus son calme. Elle s’adonna de préférence à des livres d’imagination, qui traitaient d’amour : car ces livres, pensait-elle, s’efforcent de peindre les douleurs et les joies auxquelles sont soumis les hommes. Elle espérait ainsi se retrouver elle-même, entendre l’écho de ses tristesses renvoyé par d’autres voix. Elle lut quelques volumes de Balzac, de George Sand, des poèmes en prose de Chateaubriand ; mais rien dans ces écrivains illustres ne sut la toucher, ne fut en harmonie secrète avec sa propre âme. « D’ailleurs, — se disait-elle, — tout y est réglé, arrêté et ne change plus, tandis que la vie fuit sans trêve, transformant, emportant tout. Dans les livres seulement, le bonheur peut se fixer en un décor immuable, se découper à jamais sur un fond d’or, comme une image de piété… »

Elle se faisait ainsi un ensemble d’idées qui, empreintes d’un amer pessimisme, contrastaient singulièrement avec sa jeunesse, son inexpérience et sa beauté. Et cette sensation de l’écoulement, qu’elle gardait toujours présente, datait peut-être de son enfance, et du spectacle de cette rivière qui roulait au loin ses flots sans cesse renouvelés.

Dès lors, elle ne demanda plus aux livres que de l’instruire ou de l’amuser. Elle prenait de toutes parts, et son esprit devint comme ces forêts touffues qui se sont développées au hasard des germes déposés par les oiseaux. Un jour, elle ouvrit cette Madame Bovary dont tant de mains fébriles ou négligentes avaient déjà froissé les pages. Cette aventure vulgaire et tragique, raccourci pitoyable et sublime d’illusions, d’orgueil