Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/167

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et de misère, l’étonna, mais ne l’émut pas. Elle plaignit Emma sans pouvoir l’aimer, la jugeant d’une ardeur trop âpre et sèche. Elle lui reprocha aussi le choix médiocre de ses amants, se refusant encore à concevoir que l’on pût aimer des hommes qui ne fussent pas à la ressemblance de Jacques Lenoël.

Et quelques semaines passèrent, monotones et paisibles. Mais un matin, Smith entra chez Louise :

— Vous ne verrez pas le comte, en ce moment : il a sa crise. Ces troubles, auxquels il est sujet depuis le terrible accident, surviennent quand il a de vives contrariétés. Tout à l’heure, il s’est mis dans une colère effroyable à cause de la comtesse : ayant agi très grandement avec elle, à condition qu’elle ne porte pas son nom et ne fasse pas de scandale, il a appris des détails déplorables que je voulais lui cacher. Cette dame devrait être enfermée, ce serait mieux pour tout le monde.

Puis Smith parla de sa propre famille, de ses filles, qu’il destinait à l’enseignement, de son fils aîné, midshipman.

— Voyez-vous, mademoiselle Louise, — car il continuait à la nommer ainsi quand ils étaient seuls, en souvenir de leurs relations au magasin de modes, — pour se tirer d’affaire, il n’y a que la bonne conduite et l’activité : j’ai élevé mes enfants dans ces principes, je veux qu’ils travaillent. Si plus tard il leur vient par moi quelque bien, ils en seront plus dignes. D’ailleurs vous connaissez, dans l’Évangile, la parabole des deniers et de celui qui ne sut pas les faire fructifier. Toute la prospérité de l’Angleterre est expliquée par cette parabole.

Le comte ne quittait pas encore ses appartements, lorsque arriva au château son jeune parent, le prince Daltroff.

Louise redoutait cette visite : dans la fausseté de sa nouvelle condition, il lui était très cruel de se trouver en face d’un Parisien. Elle songeait à la résistance qu’en ses jours de jeune et farouche fierté elle avait opposée aux vœux et aux projets du pauvre Fernand Epstein. Certes elle n’ignorait pas avec quelle frivolité et quelle injustice se perpétuent souvent les préjugés ; mais elle-même était sans force contre des scrupules naturels, qu’elle avait vu les magasins de modes partager avec les classes bourgeoises.

Ce fut dans ces dispositions qu’elle apprit, un matin, que le prince Daltroff était au château depuis la veille. Décidée à ne