Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/175

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Dérangeant quelques groupes qui firent place en s’écartant, Louise, le comte Kowieski et le prince Daltroff entrèrent dans le salon de jeu : on voulait montrer la roulette à madame de Kérouall. Auparavant, le prince avait expliqué les combinaisons, les martingales, les chances et les superstitions des joueurs.

— Et tenez, — affirmait-il, au moment où ils franchissaient la porte, — j’ai entendu dire que la première fois qu’on se risque, on est sûr de gagner sur le chiffre de son âge. C’est le cas d’essayer, d’autant que vous n’avez pas à craindre de l’avouer.

Le comte Kowieski s’approcha de la table et, par-dessus les épaules, fit glisser vingt-cinq louis sur le 25. Louise souriait, indifférente, incrédule. La petite boule s’élança, sauta, courut follement. Enfin elle se ralentit, hésitante, puis se fixa, marqua 25.

— 25, rouge, impair, passe ! — dit le banquier.

Et il compta douze mille cinq cents francs. Il y eut un léger émoi : des têtes se dressèrent cherchant qui, par une audace heureuse, venait de gagner en jouant le numéro.

Alors, parmi les regards, Louise en sentit un qui la glaça.

À peine put-elle reconnaître que c’était Louis Robert qui avait posé sur elle des yeux d’angoisse, et déjà il était noyé dans la foule. Mais la douleur et le mépris de cet honnête homme la laissèrent tremblante et défaillante : elle demanda à quitter le salon. Dans une des hautes glaces qui le décoraient, elle eut la vision d’une femme que d’abord elle ne reconnut pas. Cette figure de luxe et d’orgueil, parée de velours, de fourrures, de tulles nuageux, avec, au long du corsage, ces perles sans prix, était-ce bien elle, Louise Kérouall ? Et, songeant à celles qui au magasin venaient étaler leur insolence et leur faste, elle se dit qu’elle était maintenant toute pareille à l’une d’elles.

Au dehors, le ciel, la mer rayonnaient, et, sur ce fond étincelant, Monte-Carlo élevait ses pavillons, ses hôtels, ses frêles architectures mauresques de café-concert.

En ce début de mars, la colline s’ornait déjà de fleurs qui mêlaient leur grâce à cette végétation tropicale, aux contours rigides et métalliques. Sur la droite, les terrasses de Monaco venaient tremper jusque dans le flot, coulaient vers l’onde bleue en cascades de roses.