Page:Revue de Paris, 1908, tome 3.djvu/176

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Louise remonta seule dans l’appartement qu’elle occupait depuis la veille, avec le comte, à l’Hôtel de Paris.

Accoudée à son balcon, elle croyait être encore portée sur ces vagues où durant plusieurs mois elle avait erré. Au delà de cette ligne qui formait l’horizon, s’étendaient les terres qui tour à tour s’étaient déroulées devant elle. Rochers pourpres et violets des promontoires d’Ionie, sables dorés d’Afrique, rives parfumées d’Asie, villes blanches, au creux des golfes, montrant leurs minarets clairs et leurs coupoles argentées, bois d’orangers et de lauriers-roses aux flancs des collines, douceur des nuits bleues d’Orient, pâleur des matins où les îles sortent de l’onde en soulevant leurs voiles, — elle revivait ces heures où lui étaient apparues l’Asie Mineure, l’Égypte et cette Grèce qu’on lui avait jadis vantée, puis Corfou, avec ses vallées sombres et délicieuses, et cette Sicile éclatante et fière, mouillée à l’entrée du monde d’Occident… Si loin de tout ce qu’elle connaissait, son âme éparse et comme aliénée d’elle-même était charmée par tant de spectacles. Et, gardant les instincts qui lui venaient d’une longue suite d’ancêtres, elle se disait qu’elle vivrait volontiers au hasard des routes, tandis que les pays naîtraient et s’évanouiraient comme des mirages…

Le comte lui avait été un compagnon discret, taciturne, mélancolique, dont l’attachement se trahissait en élans brusques, que sa timidité rendait parfois gauches. Sans l’aimer, elle le considérait avec sympathie.

Vers le commencement de mars, sous les vents d’équinoxe, la mer devint dure et houleuse. Des orages traversaient l’atmosphère. On avait résolu de cesser la croisière. Et Louise avait abandonné avec regret sa demeure flottante.

Elle et le comte ne faisaient que passer à Monte-Carlo : ils devaient s’installer à Cannes, dans la villa des Palmiers, louée pour eux par Smith.

Tout de suite, Louise avait détesté Monte-Carlo, cette ville-casino, où, même avant sa rencontre avec Robert, les regards la suivaient, obstinés, acharnés comme des mouches…

Elle fut heureuse, le surlendemain au soir, de se retirer dans la paix de la villa. Le ciel et la mer luisaient entre les feuilles comme des vitraux d’église sertis de plomb. Elle se dit