Page:Revue de Paris, 23e année, Tome 6, Nov-Dec 1916.djvu/759

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

une minuscule boîte d’écaille où étincela une bague sertie d’émeraudes :

— C’est un bijou de famille, — fit gravement le soldat… — Il a appartenu à mon arrière-grand’mère, la marquise Catherine de Givreuse, morte sur l’échafaud, en janvier 1794.

— Il n’y a aucun doute ! — affirma le vieil homme. — C’est toi qui es mon neveu Pierre.

— Attendez ! — répondit le jeune homme avec lassitude. — Vous n’avez pas entendu mon… compagnon.

Rougeterre secoua la tête. En ce moment, sa conviction était faite : si l’aventure lui apparaissait toujours extraordinaire, elle lui semblait moins surnaturelle. Il dit cependant :

— Nous verrons… Veux-tu m’attendre dans le hall ?

Il accompagna Givreuse et alla chercher le second soldat. Puis il montra le dessin qui représentait la jeune femme. Comme l’autre, celui-ci reconnut Pauline de Rougeterre et attribua le dessin à l’oncle.

Alors, l’âme du comte se remplit de ténèbres. Et à mesure que le soldat reconnaissait les portraits assemblés dans l’album, le sentiment du prodige revenait avec une puissance accrue :

— Ai-je perdu la raison, oh ! mon Dieu !… La folie suffirait à tout expliquer… Suis-je fou ?

Il se contempla dans une glace, puis il se tâta comme il arrive dans les songes.

— Non !… Si j’étais fou, je n’aurais pas ces doutes… je n’aurais pas ce retour sur moi-même… mais alors, l’univers est effroyablement différent de ce que j’imaginais…

Du fond de l’inconscient, ces paroles montèrent à ses lèvres :

— Un seul Dieu en trois personnes… pourquoi pas un homme en deux personnes… et peut-être… pourquoi pas tous les hommes en deux personnes ? L’homme est à l’image de Dieu… et si Dieu est la somme de tous les savoirs… il est aussi la somme de tous les mystères… Il ne nous révèle les savoirs et les mystères que selon des volontés ou des circonstances que lui seul dirige… Que Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel !

Il se tourna vers le soldat et le pressa sur sa poitrine :