Page:Revue de Paris, 23e année, Tome 6, Nov-Dec 1916.djvu/760

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— Toi aussi, tu es Pierre de Givreuse ! — balbutia-t-il.

Puis, remarquant que le jeune homme était pâle et défait :

— Qu’as-tu, mon enfant ?

— Ce n’est rien… La fatigue d’être sans lui.

— Allons le rejoindre !


Qu’allons-nous faire maintenant ? — demanda Rougeterre, quand ils se retrouvèrent tous trois dans le hall. — Certainement vous n’avez pas revu votre mère.

— Comment l’aurions-nous osé ? Il nous fallait vos conseils. Si nous paraissions ensemble devant elle, à l’improviste, son émotion serait terrible… Et si nous paraissions séparément, elle s’effrayerait de notre évidente faiblesse. Il est désirable que nous ne nous séparions pas et que notre dualité paraisse seulement extraordinaire. Voici ce que nous avons imaginé. L’un de nous ne serait pas Pierre de Givreuse. Une ressemblance, même inouïe, surtout si elle est annoncée d’avance, provoquera sans doute une extrême surprise, mais non de l’effroi ou de l’angoisse… Notre mère comprendra qu’une amitié fervente ait pu naître entre nous… semblable à l’affection des jumeaux.

Augustin réfléchit quelque temps. Ses pensées s’ordonnaient avec beaucoup de peine. L’évidence d’une intervention surhumaine lui semblait maintenant éclatante. Tantôt, il entrevoyait une Volonté sinistre et tantôt la plus merveilleuse faveur de l’Au-Delà.

Il répondit, hagard :

— Je ferai ce que vous voudrez ! D’ailleurs, votre idée me semble raisonnable. Il faut toutefois nous entendre sur certains détails… Mais…

La pâleur et la rougeur se succédaient sur ses tempes. Sa voix s’abaissa jusqu’au chuchotement :

— N’avez-vous aucun souvenir… de quelque chose d’étrange… un souvenir qui pourrait ressembler à un rêve ?

— Rien. Entre le moment où je suis tombé sur le champ de bataille et le moment où nous nous sommes réveillés, notre mémoire est vide.

— Complètement ?

— Complètement.