Page:Revue de Paris, 23e année, Tome 6, Nov-Dec 1916.djvu/771

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émotions de la guerre rendaient leur tendresse plus grave. Ils voulaient renaître dans d’autres créatures ; le sang de leur race se fût révolté d’être stérile.

Un destin funeste voulait qu’ils fussent rivaux.

Ils y songeaient en suivant la silhouette fine sur les galets et les sables ; ils en souffraient, mais non par jalousie. Aucune jalousie ne pouvait naître en eux. Comme au jour où ils s’étaient vus pour la première fois, ils avaient l’un pour l’autre une inclination qui venait des sources de l’être et que rien ne briserait jamais. Était-il possible qu’un des deux souffrît et se sacrifiât ?

Dans son innocence, Valentine croyait aimer celui qui avait pris le nom de Pierre de Givreuse. Mais loin de le mieux distinguer de l’autre, chaque jour, elle le distinguait moins. Il lui semblait qu’ils étaient encore plus identiques que naguère et elle ne se trompait pas. Au début, on percevait une différence dans le grain de la peau, et, pour des regards très subtils, une faible différence dans la largeur des visages. C’est ce qu’Augustin de Rougeterre avait un jour caractérisé en disant :

— L’un est un peu plus vertical, l’autre un peu plus horizontal !

Cette différence avait disparu. Le grain de la peau était identique ; les deux faces ne se distinguaient plus l’une de l’autre par aucun indice, même léger…

Il n’y avait plus d’autre signe que la différence des costumes. Souvent, à l’insu de madame de Givreuse et de mademoiselle de Varsennes, ils échangeaient leurs habits, et alors, celui qui avait accepté le rôle de Philippe devenait Pierre. Ces changements correspondaient à un besoin sentimental : ils permettaient à chacun de vivre tour à tour dans une intimité plus filiale avec leur mère.

La plage était déserte. Pourtant, ils avaient rencontré une pêcheuse de crevettes, puis deux adolescentes. Leur ressemblance n’excitait guère d’étonnement. Elle était devenue familière.

Tout le monde croyait à l’histoire que Rougeterre avait racontée à madame de Givreuse. À peine si cette histoire paraissait maintenant étrange : la nature et les miroirs ont adapté