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Page:Revue de Paris, 23e année, Tome 6, Nov-Dec 1916.djvu/772

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l’imagination humaine, depuis des millénaires, aux plus merveilleuses ressemblances.


L’un des deux se trouva seul avec Valentine : c’était celui qui, ce jour-là, figurait Pierre de Givreuse.

Une brise faible et tiède s’était levée, qui venait de la mer, et qui apportait les effluves du large avec un léger goût d’orage. La jeune fille devenait nerveuse. Parce que sa vie avait été si parfaitement purifiée par l’éducation et par une docilité naturelle aux règles, Valentine subissait les instincts qui sont en nous, sans aucune lumière pour les éclairer. Ses lectures, triées avec soin, la laissaient dans une ignorance que jamais elle n’essayait de rompre.

Pour tout ce qui intéresse l’essentiel de la destinée féminine, elle était pareille à un petit enfant, alors que, par ailleurs, la nature l’avait faite pour un grand amour. Ce qui naissait en elle, l’agitait magnifiquement, comme un ouragan dans les ténèbres. Elle savait seulement qu’elle devait partager le destin d’un homme, et elle y consentait. Mais elle tremblait devant une réalité formidable ; il y avait deux images du même homme. Ce drame, qu’elle était incapable de formuler, troublait ses jours et ses nuits.


Ils parvinrent dans un fantastique pays de pierres taillées. Elles s’étalaient au pied des falaises, dans un « tumulte muet », elles évoquaient une œuvre de cyclopes, des villes primitives, des cimetières de granit, des tours aiguës, des pyramides, des ruines de cathédrales. Pourtant, la mer seule travaillait là, depuis des centaines de millénaires, avec la collaboration des ouragans et des tempêtes.

Valentine contemplait les vagues montantes. Elles s’élançaient sur les pierres avec ces longs mugissements qui étonnaient les antiques aèdes ; elles semblaient d’immenses troupeaux de bêtes fabuleuses, aux fourrures blanches, aux peaux vertes ; elles entraient dans les détroits de granit et en ressortaient brisées. Du large, d’autres troupeaux accouraient, intarissables, qui semblaient devoir monter au delà des falaises et noyer la terre. Mais la force qui les massait du fond de l’étendue était la même qui devait marquer leurs bornes et les chasser.