Page:Revue de Paris, 24e année, Tome 1, Jan-Fev 1917.djvu/118

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L’institutrice eut un sursaut :

L’autre ne revenait pas…

— Justement… Mais comment savoir ?… Il était impossible de faire entre eux la plus faible différence… Tu le sais bien…

— C’est vrai, la ressemblance est frappante.

— Elle est effrayante ! J’en ai été tout de suite saisie… du saisissement de ces réveils en plein rêve qui font si mal au cœur… Tu ne peux pas savoir, Madeleine… je l’attendais avec tant de ferveur… j’étais si impatiente et si heureuse… et tout à coup, c’est lui et ce n’est plus lui… un autre est là, qui est le même…

— Oui ! — fit pensivement la vieille fille… — je n’y avais pas pensé… pas pensé ainsi, oui, cela a dû être impressionnant.

On eût dit qu’un brouillard se dissipait dans l’esprit de la jeune fille. Tant de sensations ténébreuses, tant d’intuitions jusqu’alors indéfinissables, semblaient éclairées par la fièvre.

— Ce n’était pas du tout comme une ressemblance connue… c’était une révélation… et foudroyante… la destruction d’une personnalité… J’ai passé plusieurs jours dans une véritable hébétude. Tout mourait en moi… du moins je le croyais. Puis, il y a eu un retour. Mon rêve voulait revivre. Il a revécu. J’ai fait un immense effort pour faire abstraction de l’autre… de Philippe… et pour isoler Pierre. Je croyais y être parvenue, malgré une angoisse persistante, un pressentiment noir… il y a eu un moment très beau, au bord de la mer… parmi des pierres sauvages où nous avions un souvenir commun… Là, j’ai cru que la menace était vaincue… nos yeux se sont retrouvés… Mais quand Philippe nous a rejoints… comment te dire… c’était tellement le même regard et, j’en suis affreusement sûre, le même amour !

— Le même amour ! — répéta pensivement Madeleine.

Elle comprenait. Un peu du trouble de Valentine se répandait dans son âme.

— Mon Dieu ! Ce n’est rien encore, — soupira la jeune fille… — je pensais que tôt ou tard, un de ces deux amours s’effacerait… et cela seul suffirait pour créer entre eux une différence profonde… mais dans mon esprit exalté — est-ce même dans mon esprit ? N’est-ce pas dans tout mon être ? une nouvelle misère naissait… Jusqu’alors, je faisais au moins entre Pierre