Page:Revue de Paris, 24e année, Tome 1, Jan-Fev 1917.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« N’est-ce pas ma dernière heure ? » se demanda Philippe.

Il aimait la vie. Sur cette terre noire, qui se perdait dans les ténèbres, des années de force et de courage lui avaient été promises. Il songeait à l’autre, à sa mère, à Valentine, avec un immense attendrissement ; il éprouvait aussi un regret étrange de mourir sans connaître le secret de son dédoublement…

Soudain, il se trouva dans une brume, ou plutôt dans un nuage. Les rais cessaient de l’atteindre. Pendant dix minutes encore, le moteur fonctionna, puis il s’arrêta. Il fallut descendre au hasard. Philippe fit décrire à son appareil une large spirale et sans presque savoir comment, il se trouva dans une clairière très nue, au milieu d’une forêt.

Tout était paisible. C’est à peine si l’on discernait les détonations d’une artillerie lointaine. Il attendit un instant, le revolver au poing, puis, à la lueur vive de sa lanterne, il se mit à examiner le moteur. L’avarie en somme était légère, quoique mal située. Il fit rapidement une réparation de fortune. Et il s’apprêtait à repartir lorsqu’il entendit une voix… Une créature humaine venait de surgir, à peine vêtue d’une vague chemise et d’une jupe vingt fois trouée. C’était encore une enfant ; ses yeux luisaient comme des yeux de lynx.

Il darda la lumière sur un visage bistre, sur une crinière fauve qui ruisselait autour des épaules grêles :

— Vous êtes Français ! — dit-elle… — Je le sais bien !

— Je suis Français.

Elle le regarda avec supplication ; elle reprit :

— Il y a près d’un an que je vis dans les bois !… Jamais aucun d’entre eux ne m’a atteinte.

Une grande pitié nuancée d’admiration, emplit le cœur de Philippe. Il demanda avec douceur :

— Et vos parents ?

— Je n’ai pas de parents, — soupira-t-elle… Je suis une enfant trouvée.

— Pauvre petite !

Elle l’intéressait davantage. Cette aventure avait des affinités mystérieuses avec sa propre aventure. Les origines de l’enfant se perdaient dans la nuit des êtres comme la sienne se perdait dans la nuit des énergies.