Page:Revue de Paris, 24e année, Tome 1, Jan-Fev 1917.djvu/127

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Il demanda :

— N’auriez-vous pas peur de m’accompagner ?

— Oh ! — exclama-t-elle les yeux brillants… — ne me laissez plus seule !

Alors, il l’installa dans l’appareil, l’enveloppa d’une couverture, puis, ayant tout vérifié, il prit place à son tour et démarra :

— Surtout, ne bougez pas !

L’appareil roula et s’enleva. Il franchit la cime des arbres. L’enfant fut à peine étonnée et, tout de suite, elle s’accoutuma… La nuit était profonde ; un brouillard s’abattait sur les forêts, les collines et la plaine ; l’aéroplane devenait invisible.

Quelques heures plus tard, Philippe atterrissait bien au delà des lignes ennemies.


Philippe plaça la petite chez une vieille institutrice. Il allait la voir chaque jour lorsqu’il ne voyageait point.

Elle fut d’abord craintive, brusque et sauvage. Elle avait des mouvements de bête captive ; elle ne pouvait se déshabituer d’être aux écoutes et même de fuir au moindre bruit suspect.

Il aimait ce visage d’oréade, ces longs yeux scintillants et cette structure flexible de forestière. L’enfant lui témoignait une affection farouche et jalouse. La nuit où il l’avait enlevée dans le ciel devait demeurer la nuit enchantée de sa vie…

Lui aussi s’attachait à elle. Il lui plaisait de l’avoir trouvée, dans l’inconnu, parmi les ennemis innombrables. Le lien qui l’unissait à elle devenait toujours plus fort et lui donnait plus de courage.

Un jour, il la trouva dans le jardin de l’institutrice. On approchait déjà de l’équinoxe. Une brise orageuse soufflait sur la mer. Les oiseaux des tempêtes tourbillonnaient avec des clameurs rauques ; les apodes aux ailes tranchantes quittaient les altitudes et décrivaient sur la falaise de longs vols fiévreux.

Il marchait avec la petite Jeanne sous les vieux pommiers :