Page:Revue de Paris, 24e année, Tome 1, Jan-Fev 1917.djvu/129

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de vieille France tandis que les vers chantaient implacablement dans sa mémoire :

La branche au soleil se dore
Et penche, pour l’abriter,
Ses boutons qui vont éclore,
Sur l’oiseau qui va chanter !

Il prit le bras de la petite et la mena vers la maison.


XIII


Pierre souffrait plus que Philippe. Le plus étrange des remords l’accompagnait jusque dans la profondeur du sommeil et souvent, d’un choc brusque, l’éveillait. Alors, dans l’ombre, il subissait un cauchemar inconscient, qui l’emplissait d’horreur et de dégoût. Tandis que Philippe se trempait dans la vie agissante, Pierre se recroquevillait dans le rêve. Il rôdait comme un Hamlet à travers le château immense, il se perdait par les caves sinistres où les prisonniers avaient souffert la faim, la torture et le froid. Les œuvres de madame de Givreuse l’occupaient médiocrement : elle y déployait une activité qui rendait presque inutile l’intervention du jeune homme. Il se réfugiait dans la vieille bibliothèque, où des livres étranges sollicitaient sa curiosité, ou, perdu dans les falaises, il vivait avec les oiseaux sauvages de la mer et avec des bêtes énigmatiques, qui arrivaient du fond de l’étendue comme si elles arrivaient du fond des âges.

Tel un glas, une même pensée sonnait dans sa tête. Il voulait sans cesse rappeler Philippe : quand ils se rencontraient, Philippe s’opposait à ce rappel et montrait que l’épreuve était nécessaire.

Dans ces discussions se révélaient les premières différences nées de la séparation ; il y avait plus de précision chez Philippe, plus de fièvre et de subtilité chez Pierre : ils commençaient à pressentir la dissolution progressive de leur unité.

Valentine n’était pas revenue au château ; elle faisait chaque semaine une longue visite à madame de Givreuse. Pierre se montrait furtivement pendant ces entrevues ; il