Page:Revue de Paris, 24e année, Tome 1, Jan-Fev 1917.djvu/128

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des araignées pareilles à de petits crabes consolidaient leurs toiles.

Elle allait, furtive et rythmique. Que deviendrait-elle ? Quelles voies seraient les siennes dans la vie incompréhensible ? Il se le demandait avec inquiétude ; il voulait qu’elle fût heureuse. Des émotions obscures se levaient, et qu’il préférait obscures, par la crainte de tous ces possibles qui deviennent si facilement impossibles.

À la fin, il demanda :

— Jeanne, es-tu heureuse ?

Elle tourna vers lui ses yeux ensemble clairs et sombres ; elle répondit à voix basse :

— Je suis heureuse quand vous êtes là !

Il tressaillit ; il perçut l’avenir de l’enfant. Il vit poindre l’adolescente. Il murmura :

— Ce ne sera pas toujours ainsi.

Il y eut de l’indignation et de la peur sur le visage bistre ; les yeux devinrent tout noirs, tellement la prunelle s’était dilatée ; puis elle eut un petit rire rauque :

— C’est que je serais morte !

— Morte !

Il sentit la force de l’accent et sa profondeur ; il n’eut aucun doute. À l’heure fatale, l’amour qui naîtrait dans cette enfant comme le pollen dans la fleur, serait sans retour… Ce serait un amour jaloux.


Ils marchèrent encore quelque temps côte à côte. Le vent apportait les vapeurs de la mer, un nimbe noir montait et croissait, ourlé de phosphorescences.

Un songe développait ses péripéties confuses. Philippe entrevit les méandres d’un destin où il n’y aurait plus de déchéance ni de sacrifice, où des jours purs naîtraient les uns des autres, comme les anémones voyageuses dans la montagne.

Des gouttes chaudes tombaient sur les pommes, quelque chose d’intense et de délicieux sourdait des herbes automnales… Mais subitement une image rythmique se profila sur les falaises ; la douleur recommença de battre dans la poitrine de Philippe ; il revit la fenêtre ouverte sur le paysage