Page:Revue de Paris, 24e année, Tome 1, Jan-Fev 1917.djvu/139

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Il bégayait, il pataugeait.. Elle recommençait à sourire, ironique et indéchiffrable. Elle voulait savoir où cette rencontre les mènerait. C’était un mélange inextricable de curiosités, de souvenirs violents, d’impressions naissantes. En somme, ce jeune homme, si semblable à Pierre, la ramenait à un passé auquel elle eût aimé revenir une fois encore, et mêlait à ce passé la possibilité sinon la promesse d’un renouveau…

— C’est bien ! — interrompit-elle. — Si Pierre de Givreuse a des raisons pour ne pas me rendre visite, ces raisons ne m’intéressent point… Et vous, monsieur, quoique votre présence soit bien… insolite, je consens à vous excuser, mais tout ça ne fait pas que je vous connaisse !…

Combien tout serait facile s’il pouvait prendre sa personnalité véritable ! Il se dépitait ; mais en même temps, l’aventure lui semblait ainsi plus exaltante. Elle comportait ce recommencement dont l’absence éteint tous les goûts et toutes les passions. La Thérèse assise dans ce lourd fauteuil gothique, n’était plus la Thérèse dont un jour il s’était séparé parce que la coupe mystérieuse était épuisée :

— Essayons de causer, — persifla-t-elle… — Ça ne va pas être commode. Voyons. Prenons l’écheveau au hasard. Avez-vous combattu ?

— Oui, madame.

— Vous avez été blessé ?

— Oui.

— Et que faites-vous ?

— Je m’emploie dans une fabrique d’aéroplanes… sous le patronage de monsieur de Rougeterre.

— Bon patronage. C’est un homme qu’on peut estimer. Il y a si peu de gens estimables…

Elle eut un moment de lassitude :

— J’en connais tout au plus six ou sept qui existent. Le reste… quelle fumée !

Son geste dédaigna une multitude invisible… Elle eut de nouveau son rire tranchant et ambigu :

— Et vous-même, vous estimez-vous ?

— Je ne sais pas… Je me cherche.

— C’est un commencement… Ceux qui se cherchent,