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LES QUATRE FILS D’ÈVE

ne me reste rien à donner : leurs quatre frères ont pris tout… Non, ne pleure pas je n’aime pas à voir des larmes féminines. Peut-être, en réfléchissant, trouverai-je encore quelque chose pour eux… Nous verrons cela plus tard.

― Non, Seigneur ; donnez-leur tout de suite quelque chose ! ― supplia Ève qui ne se contentait point de cette promesse vague. ― Qui sait quand Votre Divine Majesté reviendra de ce côté-ci ? Peu importe le don. Faites à chacun d’eux un tout petit cadeau, accordez-leur une fonction, une occupation. Sinon qu’adviendra-t-il de ces pauvres chéris ?

L’archange allait ordonner qu’une escouade de la garde divine écartât de vive force cette femme obstinée. Mais le Tout-Puissant, grâce à sa Sagesse infinie, trouva une solution. Ce qui l’y aida, c’est qu’il avait hâte, lui aussi, de s’éloigner de la ferme et de cette déplaisante marmaille. Il caressa sa longue barbe et dit à Ève :

― Ne pleure plus je viens de leur trouver une occupation, et ce ne sera pas une sinécure. Ils travailleront tous à soutenir leurs frères, dont ils seront éternellement les serviteurs.

L’histoire de tio Correa était finie. Après une longue pause, voici la conclusion qu’il en tira :

― Vous et moi, tous ceux qui passent leur vie courbés vers la terre pour subvenir à leur misérable existence, nous sommes les descendants de ces petits malheureux que notre première mère avait enfermés dans l’étable.

Les moissonneurs demeurèrent silencieux et pensifs. Mais tout à coup une voix s’éleva dans l’ombre :

― Et les filles ? Que faites-vous des filles ?

Tio Correa, surpris et perplexe, promena ses regards sur le cercle de ses auditeurs et demanda :

― De quelles filles voulez-vous parler ? Qu’est-ce que les filles ont à voir dans cette histoire ?

L’interpellateur, toujours caché dans l’ombre, reprit :

― Il est certain qu’Ève a eu aussi des filles ; sans quoi, les femmes n’existeraient pas aujourd’hui. Et Dieu sait s’il y en a, trop peut-être. Ce que je voudrais savoir, c’est quel fut le sort des filles d’Ève. Notre première mère en a-t-elle présenté aussi quelques-unes au Seigneur, pour qu’il leur fît un