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Page:Revue de Paris, 35è année, Tome 3, Mai-Juin 1928.djvu/622

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l’autre, — on eût dit d’elle-même, — et faisait le tour du village, comme une annonciatrice de temps meilleurs. Afin de la préserver de mauvais traitements, c’est encore père Toma qui envoyait chaque jour un apprenti « pour voir comment ça marchait » et pour recommander aux paysans de « ne pas trop la bourrer », « ni permettre aux enfants de tourner à vide et surtout d’y introduire des clous ». Pour découvrir où elle se trouvait, on se guidait d’après le bruit qu’elle faisait en battant, car, d’autres machines semblables, seuls le maire et le pope en avaient, mais ils ne les prêtaient jamais, bien entendu.

C’est ainsi qu’un matin, ce fut moi que père Toma envoya pour voir où se trouvait la batteuse et comment elle se portait. Je la découvris chez Tanasse, battant vaillamment et épouvantant les poules. Une sœur de Tanasse l’alimentait raisonnablement, deux frères tournaient la roue, à tour de rôle, et un troisième, pas plus haut qu’une botte, faisait un grand vacarme pour qu’on lui permît à lui aussi de tourner. Deux frères et deux sœurs encore, assis autour d’une albia pleine d’épis, s’amusaient à décortiquer à la main. Une sœur travaillait, avec la mère ; et le dernier né se faisait dorloter par le père, qui souffrait de rhumatisme chronique, ce qui ne l’empêchait pas de faire des enfants anu’si gavanu[1]. (Trois autres garçons travaillaient à Giurgiu !)

L’aîné de cette famille était le pauvre Tanasse. Il trimait comme quatre, au moment de mon arrivée, plein de poussière et suant à grosses gouttes.

— Vous êtes nombreux… — lui dis-je (pour dire quelque chose.)

— Oui… à table ! Trois jours, un sac de malaï ! On va moins vite pour trouver le malaï.

Puis :

— C’est toi qui es parti, avec Yonel, après les chardons ?

— C’est moi… Dans le Baragan on crève de faim.

— Partout c’est le Baragan ! Partout on crève de faim !

Comme je m’en allais, il me conduisit jusqu’à la porte :

— Dis au père Toma que demain je lui renvoie la machine, nettoyée, graissée, en règle. Personne n’en a plus besoin.

  1. Un chaque année.