Leconte de Lisle dans ces Érynnies, où sonnent au moins avec puissance les hautes semelles du Cothurne.
La disparition de la pièce en vers est un important événement littéraire. De Richelieu à la guerre de 1914, soit pendant trois siècles pleins, le long d’une tradition jamais interrompue, la tragédie, la comédie, le drame, les cinq actes en vers, avaient figuré comme une messe esthétique de la bonne compagnie. La pièce en vers était une religion de Paris. C’était elle qu’on écoutait en habit noir, l’habit à la française, qui a disparu avec elle du théâtre. Elle restait l’hommage rituel du Français aux Muses. Elle conservait dans la troisième des littératures classiques une image de ce que fut jusqu’aux Alexandrins toute la poésie grecque : poésie dite devant les hommes assemblés, mode sublime de la voix humaine, dans un costume et un décor. Elle maintenait au vers ses valeurs rythmiques, entretenait sa fleur, sa chair vivante et sa respiration. Tout a été séché brusquement, et la mort du théâtre en vers menace d’entraîner le crépuscule du vers tout court, comme la disparition des champs de course, aussi frivoles pour le moraliste sévère qu’une salle de première, abâtardirait en deux générations toute la race chevaline. Cette révolution poétique ou anti-poétique paraît d’autant plus extraordinaire qu’elle coïncide avec une transgression et un envahissement des valeurs sonores qui dépasse tout ce qu’au début du XXe siècle l’imagination la plus folle pouvait rêver. Au contraire de la musique, la poésie dramatique ou autre, n’a nullement profité de la radiophonie. Quand l’invention nouvelle a été déclenchée, la poésie venait d’être refoulée dans le livre. Elle y est encore. Tombeau ? Ou simplement château endormi de la Belle au Bois ?