Page:Revue de Paris, 40è année, Tome IV, Juil-Août 1933.djvu/124

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parnassiens qui continue à agir, le seul qui ait labouré la sensibilité d’une époque à la même profondeur que les grands romantiques. De la littérature de la Troisième République, on l’ôterait plus difficilement encore que Leconte de Lisle et Banville.

Il n’a été, en effet, digéré, compris, que bien après sa mort. La magistrature lui avait fait un succès de scandale, et ses contemporains littéraires un succès d’étrangeté. Un pas-comme-les-autres, un excentrique, et c’était tout. Dans le mot de Victor Hugo sur le frisson nouveau, l’accent est sur nouveau. Théophile Gautier, qui donne ici le ton au goût des poètes, développe longuement, et dans sa notice et dans son Rapport, l’image du « jardin singulier où un botaniste toxicologue a réuni la flore des plantes vénéneuses ». Et Sainte-Beuve donne pour un demi-siècle le ton à la critique, avec son image si inexacte et même perfide d’un kiosque perdu au bout d’un Kamtchatka poétique.

La vérité est que les Fleurs du Mal transforment et retournent le romantisme, avec ces trois ferments, aujourd’hui encore agissants une poésie chrétienne, une poésie urbaine, une poésie critique.

Une poésie, chrétienne et une vraie ! Une vraie, c’est-à-dire le contraire de la poésie chrétienne à la Chateaubriand, qui était décorative, glorieuse, lyrique. Pas de christianisme vrai sans la conscience du péché, le sens du péché, un sens dont on ne sait comment Baudelaire s’est trouvé le posséder comme Pascal. Or, s’il existe bien en France, pour les philosophes, un grand pays de vie intérieure venu des Grecs, d’autre part il semble que la vibration poétique, l’appel à la sensibilité générale et au lecteur commun, ne coïncident, dans cet ordre de la vie intérieure, qu’avec des thèmes chrétiens, même si ces thèmes ne font que servir de mythe, et si la croyance authentique ne donne pas. Le péché originel, ses récurrences personnelles, les drames de l’enfer et du ciel, l’examen de conscience, la confession, la damnation et le salut, le démon et la Madone, sont poétisés intérieurement et réellement par les Fleurs du Mal, comme ils l’ont été extérieurement et décorativement par le Génie du Christianisme. Les grands romantiques, et même Vigny dans le Mont des Oliviers, ont fait un usage