Page:Revue de Paris, 40è année, Tome IV, Juil-Août 1933.djvu/123

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et de Musset, le volume est de ceux qui signifient : « Romantisme pas mort, vers suivent », et c’est Banville qui donnera à la poésie du Second Empire son blason, à la fois de l’absence et de la présence dans le

Mais le Père est là-bas dans l’Île !

On sait comment, vingt ans après les Cariatides, les Parnassiens tinrent Banville pour précurseur, maître et demi-dieu. On a moins remarqué à quel point la notion symboliste de la poésie pure puise dans Banville sa substance et sa justification. Non seulement par le jeu de ses rimes équivoques, mais par le climat qu’elle compose et le pays de poésie qu’elle suscite, la Prose pour des Esseintes érige la statue même qui convient au parc banvillien. Mallarmé n’admirait rien tant en poésie que le Forgeron, qui, mieux peut-être que le hasardeux Amphion, pourrait servir de mythe à la poésie valérienne. En ces deux astres durs, Mallarmé et Valéry, il semble que se condense la nébuleuse de Banville. Banville, Mallarmé, Valéry, tous trois collaborent pour créer cette synthèse originale du pœta vates et de l’homo faber (c’est le sens du Forgeron) devenue aujourd’hui une des lignes directrices de notre sens poétique.

Selon l’ordre de leur entrée dans la vie de la poésie, Baudelaire vient le dernier des trois grands poètes du Second Empire, bien qu’ils soient contemporains de naissance (1821-1823) tandis que Banville débute en 1842, à dix-neuf ans, par les Cariatides, ses deux aînés de deux ans débutent, Leconte de Lisle à trente et un ans, avec les Poèmes antiques, Baudelaire à trente-six ans avec les Fleurs du Mal. Et en effet, la poésie de Baudelaire semble avoir une jeunesse derrière elle plutôt qu’une jeunesse avec elle. Et puis elle n’a pas vécu du tout dans le même rythme de durée que celle de ses deux contemporains. Tandis que ceux-ci empiètent largement sur le domaine de la Troisième République, ont été présents et applaudis chez elle pendant plus de vingt ans, Baudelaire meurt en 1867 et même avant. Et pourtant, si l’on mesure la présence d’un poète à l’inspiration qu’il communique et à l’action qu’il exerce, Baudelaire aura été depuis soixante ans le plus mêlé à la vie poétique, le seul des trois contemporains