Page:Revue de Paris, 40è année, Tome IV, Juil-Août 1933.djvu/127

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démie leur grand aîné Leconte de Lisle, lequel, lui, n’y entra qu’à soixante-cinq ans, sur désignation de Victor Hugo qui lui avait légué impérativement son siège. Sully Prudhomme et Coppée allèrent, dès leurs débuts, à la gloire. Sully Prudhomme fut en 1902 le premier lauréat du prix Nobel de littérature, et il fut tenu pendant vingt ans pour le poète de l’élite pensante : tout agrégé des lettres, tout lecteur des Débats, mettait à une place d’honneur de sa bibliothèque les cinq volumes de ses Poésies complètes ; le Vase brisé était, avec les Deux Cortèges de Soulary, la poésie le plus souvent infligée à la mémoire des collégiens. Le premier avec la correction d’un homme qui avait préparé Polytechnique et traduit Lucrèce, le second avec la pointe de bohème roublard qui entre dans la composition du parfait bourgeois de Paris, Sully Prudhomme et Coppée, entre leurs digues de principes indiscutés, avaient des cœurs généreux, et le goût pour leur poésie était encouragé encore par l’amitié déférente que leur personne inspirait.

Si la retraite des Parnassiens vers l’atelier des sculpteurs et des ciseleurs tenait en partie à ce qu’un poète officiel, sous l’Empire, ne pouvait que ramper, il sembla que la République eût rendu aux poètes le droit de chanter, comme on dit, avec plus de dignité. Les poésies patriotiques, presque obligatoires, de 1871 et d’après, les entraînaient à ce rôle. Comme l’a dit Maurras, l’idée de la revanche a été pendant trente ans la vraie reine en France, et c’est sans déchoir moralement qu’on put louer en vers cette reine et ses dames de compagnie. Mais on alla plus loin. Sully Prudhomme et surtout Coppée rédigèrent à tas, pour les anniversaires, les grands événements, les inaugurations, des poèmes plus ou moins officiels. On peut les louer d’avoir continué ainsi sur la place publique une vivante tradition romantique, mais ici nous voilà loin du pur laurier parnassien et de ce type convenu du ciseleur dans son atelier, qui ne fut la plupart du temps qu’un idéal, ou un motif poétique momentané, ou un cliché.

Sully Prudhomme fuit le Parnasse par un côté, et il lui appartient par un autre. Il le fuit par son hostilité contre le décor historique et par son goût pour les nuances de la vie intérieure. Il lui appartient par un zèle extraordinaire pour