Page:Revue de Paris, 40è année, Tome IV, Juil-Août 1933.djvu/466

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disent ou analysent l’amour. Leur abondance dit dans un grand cœur une grande fièvre, à la fois la joie de vivre et cet « honneur de souffrir » qui sert de titre à son dernier recueil.

Elle a donné une voix inentendue à l’exigence féminine, au désir despotique, à l’éternelle réclamation : « Et moi ! » Sa poésie tient peu de celle de Racine, mais s’a nature poétique tient de la nature d’une héroïne racinienne. Et aussi d’une héroïne stendhalienne. Dans une chambre d’hôtel, à Grenoble, elle écrit des vers pour se comparer à Julien Sorel et elle dit vrai.

C’était cette fureur profonde
De vouloir posséder le monde ;
Quand on est comme vous et moi,
On est hors du temps et des lois.

Toute une part de sa poésie tombe comme une de ces tresses coupées de cheveux que Mathilde de la Môle jette à Julien.

Certaine vision, certaine mythologie de la nature lui appartient authentiquement, comme son invention propre. Invention facile, spontanée, d’ailleurs, et toute gouvernée par sa vie d’enfant. On la compare souvent à son contemporain Francis Jammes, l’un le dieu Vertumne et l’autre la déesse Pomone des campagnes françaises. C’est exact, à condition de ne pas oublier le contraste des deux existences, celle d’un jardinier béarnais et celle d’une patricienne européenne. Toute la province poétique petite-bourgeoise de la France tient dans deux vers de Jammes.

Et je songe à ces écolières d’autrefois
Dans des propriétés qui produisaient encore.

Madame de Noailles, elle, a vécu, écolière, dans des parcs de châteaux dont elle n’était pas l’économe, dans une nature à la fois historique, civilisée et passionnée, où le potager et le verger, avec leur dieu amène le jardinier, étaient pour les petites filles à peu près ce qu’étaient pour le jeune Racine les pêches et les poires de M. d’Andilly. Et comme il est bien que le vers le plus noaillesque du XVIIe siècle soit justement écrit par Racine à vingt ans !

Je viens à vous, arbres fertiles,
Poiriers de pompe et de plaisir !