Page:Revue de Paris, 40è année, Tome IV, Juil-Août 1933.djvu/467

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Le fripon, dit Sainte-Beuve, en avait goûté ! Les jardins de l’Île-de-France et les vergers de Savoie, ces pêches, ces poires, ces framboises, ces brugnons, dont les rimes ou les syllabes bien en place, ensoleillées, pendent, éclatantes, au bout des vers de madame de Noailles, la courge, le haricot, le céleri, de ses plates-bandes de quatrain, ils ont gardé dans sa poésie la place qu’ils tiennent dans les enfances émerveillées. Puis les voyages, les paysages historiques de France, d’Italie, d’Orient, tout ce qui retrouva, au début du XXe siècle, une beauté rayonnante, aujourd’hui démodée, sous l’incantation de M. de Chateaubriand, je veux dire de Barrès. La poésie de madame de Noailles est liée à certain style de beauté décorative que l’après-guerre n’a pas retrouvée.

Cette poésie fut liée aussi, comme celle de Delphine de Girardin, à une situation mondaine, à une qualité officielle de Muse, à une magie féminine : madame de Noailles fut poète à la ville. Elle imposa la présence matérielle, un peu théâtrale et volontaire, du génie, et, dans les intermittences du trépied, elle eut autant d’esprit que madame de Girardin. Aux deux douzaines de pièces d’anthologie qui resteront d’elle (autant que de Desbordes-Valmore), il faut, pour peser justement sa gloire future, ajouter cette figure à la Staël, ce nom, ce bruit, ce prestige d’une destinée, (des correspondances posthumes peut-être), et, derrière le noyau livresque de la comète, une queue indéfinie de vapeurs d’or.

L’épitaphe de cette lamartinienne devra commencer ainsi que se termine le Lac. Tout d’elle dit : Elle a aimé ! Elle a aimé d’amour, elle a aimé la nature, elle a aimé la gloire, elle a aimé le génie. Elle les a aimés chez autrui, autant qu’elle les a voulus pour elle. Elle ne fut jamais plus séduisante que dans la passion d’admirer, dans cette ferveur de petite fille enthousiaste devant un Mistral, un Barrès, un Jaurès. Cette nature généreuse fait honte à qui l’apprécierait sans générosité, à qui plaisanterait à l’excès une candeur parfois intempérante, toujours relevée par la pureté et la qualité de l’enthousiasme, une clairvoyance lyrique, et un goût d’oiseau pour l’élément de lumière. Certain ton de raillerie pachydermique et facile autour d’elle témoigne d’une vraie haine de la poésie.