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LA REVUE DE PARIS

mère. » Telle maintenant lui apparaissait la vérité souveraine, rayonnant sur cette divine patrie idéale que Dante explora. « Italie ! Italie ! » Sur son âme résonnait comme un cri de réveil ce nom qui enivre la terre. Des ruines baignées par tant de sang héroïque, l’art nouveau ne devait-il pas s’élever, robuste de racines et de branches ? Ne devait-il pas résumer en lui toutes les forces latentes que possède la substance héréditaire de la nation, devenir pour la troisième Rome une puissance déterminante et constructive, indiquer aux hommes d’État les vérités primordiales qui sont les bases nécessaires des institutions nouvelles ? Fidèle aux plus antiques instincts de sa race, Wagner avait pressenti et secondé par son effort l’aspiration des États allemands vers la grandeur héroïque de l’Empire. Il avait évoqué la haute figure d’Henri l’Oiseleur se levant sous le chêne séculaire : « Que par toute la terre allemande surgissent les combattants ! » Et bientôt ces combattants avaient vaincu. Avec le même élan, avec la même ténacité, le peuple et l’artiste avaient atteint le but glorieux. La même victoire avait couronné l’œuvre du fer et l’œuvre du rythme. Aussi bien que le héros, le poète avait accompli un acte libérateur. Aussi bien que la volonté du Chancelier, aussi bien que le sang des soldats, ses figures musicales avaient contribué à exalter et perpétuer l’âme de la race.

— Il est ici depuis quelques jours déjà, au palais Vendramin-Calergi, — disait le prince Hoditz.

Et, subitement, l’image du créateur barbare se présenta, les lignes de sa face devinrent visibles, ses yeux d’azur brillèrent sous le vaste front, ses lèvres se serrèrent sous le menton robuste, armées de sensualité, d’orgueil et de dédain. Son petit corps courbé par la vieillesse et par la gloire se redressa, parut gigantesque aussi bien que son œuvre, prit l’aspect d’un Dieu. Le sang y courut comme les torrents dans une montagne, la respiration y souffla comme le vent dans une forêt. Subitement, la jeunesse de Siegfried l’envahit, s’y épanouit, radieuse comme l’aurore dans le nuage. « Suivre l’impulsion de mon cœur, obéir à mon instinct, écouter en moi-même la voix de la nature, voilà ma suprême loi ! » La parole héroïque résonna en lui, jaillissant des profondeurs, exprimant la