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LE FEU

volonté jeune et saine qui triomphait de tous les obstacles et de tous les maléfices, toujours d’accord avec la loi de l’Univers. Et les flammes alors, celles qui naissaient de la roche heurtée par la lance de Wotan, montèrent en cercle : « Dans la mer flamboyante le chemin s’est ouvert. Me plonger dans le feu, oh ! la grande joie ! Trouver l’épouse dans la flamme… ! » Tous les fantômes du mythe fulgurèrent, s’éteignirent.

Le casque ailé de Brunehilde scintilla au soleil : « Gloire au soleil ! Gloire à la lumière ! Gloire au jour rayonnant ! Mon sommeil fut long. Qui m’a réveillée ? » Tous les fantômes s’enfuirent en tumulte, se dispersèrent. Soudain ressuscita sur un champ d’ombre la vierge du chant, Donatella Arvale, telle qu’elle lui était apparue là-bas, parmi la pourpre et l’or de la salle immense, tenant la fleur du feu, dans une attitude dominatrice : « Tu ne me vois donc pas ? Mon regard qui te consume et mon sang qui bout ne te font donc pas peur ? Tu ne l’éprouves pas, cette ardeur sauvage ? » Absente, elle reprenait son pouvoir de rêve. Des musiques infinies naissaient du silence qui occupait la place restée vide dans le cénacle. Son hermétique visage enfermait un secret inviolable. « Ne me touche pas, ne me trouble pas ; et je refléterai à jamais ton image lumineuse. C’est toi-même que tu dois aimer. Renonce à moi ! » Une fois encore, comme sur l’eau fébrile, une impatience passionnée tourmentait l’animateur ; et, dans l’absente, il retrouvait l’aptitude à être bandée comme un bel arc par une main forte qui saurait s’en armer pour une haute conquête : « Éveille-toi, vierge ; éveille-toi ! Vis et ris ! Sois mienne ! »

Son esprit était entraîné avec violence dans l’orbite du monde créé par le dieu germain ; les visions et les harmonies l’opprimaient ; les figures du mythe septentrional, recouvrant celles de sa passion et de son art, venaient les obscurcir. Son désir et son espérance parlaient le langage du barbare : « Il faut que je t’aime en riant, que je m’aveugle en riant ; il faut qu’en riant nous nous perdions ensemble. Amour radieux, riante mort ! » L’allégresse de la vierge guerrière sur la roche cerclée de flammes atteignait les plus hauts sommets ; le cri de volupté et de liberté montait jusqu’au cœur du soleil. Ah ! quelle chose n’avait-il pas exprimée, quel faîte et quel abîme