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LA REVUE DE PARIS

Les arbres, au-dessus de l’enceinte claustrale, semblaient s’évaporer par leurs cimes presque nues ; et les moineaux, plus nombreux sur les branches que les feuilles malades, gazouillaient, gazouillaient sans répit.

— Devinez son nom. Il est beau et rare, comme si vous l’aviez cherché vous-même.

— Je ne sais pas.

— Radiana ! Elle s’appelle Radiana, la prisonnière !

— Mais de qui est-elle prisonnière ?

— Du Temps, Stelio ! Le Temps veille aux portes avec sa faux et son sablier, comme dans les vieilles estampes…

— Une allégorie ?

Un enfant passa, qui sifflotait. Lorsqu’il vit ces deux personnes regarder vers les fenêtres closes, il s’arrêta pour regarder aussi, avec ses grands yeux curieux et pleins d’étonnement. Ils se turent. Le ramage continu des oiseaux ne parvenait pas à vaincre le silence des murailles, des troncs, du ciel : car ce bruit monotone était dans leurs oreilles comme le bourdonnement dans les conques marines ; et, à travers le bruit, ils percevaient la taciturnité des choses environnantes et quelques voix éloignées. Le rauque hurlement d’une sirène se prolongea dans le lointain brumeux, se faisant peu à peu doux comme une note de flûte ; puis, il s’éteignit. L’enfant se lassa de regarder : rien de visible ne se produisait ; les fenêtres ne s’ouvraient pas ; tout demeurait immobile. Alors, il partit en courant. On entendit sur les pierres humides et sur les feuilles pourries la fuite de ses petits pieds nus.

— Eh bien, — demanda Stelio, — que fait Radiana ? Vous ne m’avez pas dit encore quelle est cette femme, ni pourquoi recluse. Racontez-moi son histoire. J’ai déjà pensé à Soranza Soranzo.

— La comtesse de Glanegg est une des plus grandes dames de l’aristocratie viennoise, peut-être la plus belle créature que j’aie rencontrée jamais sur terre. Frantz Lenbach l’a peinte dans l’armure des Valkyries, avec le casque aux quatre ailes. Vous ne connaissez pas Frantz Lenbach ? Vous n’êtes jamais entré dans son atelier rouge, au palais Borghèse ?

— Non, jamais.